Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2016 (The Summer that Melted Everything)
Date de publication française : 2019 Éditions Joëlle Losfeld et 2022 Gallmeister
Traduction (américain) : François Happe
Genre : Roman noir
Personnages principaux : Fielding Bliss, narrateur – Sal, garçon noir qui se présente comme étant le Diable
Dans la petite ville de Breathed dans l’Ohio, en ce jour du mois de juin 1984, le procureur Autopsy Bliss a l’idée saugrenue de publier en première page du journal local une annonce pour inviter le diable à venir lui rendre visite. Et plus étonnant encore, le diable vient effectivement. Mais il n’a pas l’aspect qu’on lui prête traditionnellement : pas de cornes et de queue fourchue, il a simplement l’apparence d’un garçon de treize ans, de peau noire avec des yeux d’un vert intense. Les habitants de Breathed sont partagés : une partie d’entre eux pense que c’est un gamin qui s’est enfui d’une ferme de la région, une autre partie pense qu’il est l’incarnation du mal, surtout parce qu’il est noir. La famille du procureur Bliss ne voit en lui qu’un enfant en mal d’affection. Elle l’héberge dans un premier temps et comme personne ne se signale pour le réclamer, elle finit par l’adopter définitivement. Cependant cet étrange garçon va concentrer la haine d’un groupe d’individus rassemblés derrière un gourou autoproclamé. Les esprits s’échauffent d’autant plus qu’une vague de chaleur sans précédent frappe la région.
Dans une intrigue improbable l’autrice nous raconte les souvenirs d’un homme de 84 ans qui aujourd’hui vit pauvrement dans un mobil-home. C’est Fielding Bliss, le fils du procureur qui a convoqué le diable à l’époque. On peut se demander en passant à quelle époque se situe le moment où Fielding parle : sachant qu’il avait 13 ans en 1984, il serait né en 1971 et aurait maintenant 84 ans. Nous serions donc en 2055 lorsque Fielding se confesse ! C’est une parenthèse pour montrer que nous ne sommes pas à une incohérence près dans ce livre, la rigueur n’étant pas vraiment son point fort. Ça part un peu dans tous les sens, car outre l’histoire du diable, l’autrice aborde une multitude de thèmes tels que : le bien et le mal, le racisme, les sectes, les croyances, l’obscurantisme, le fanatisme, l’homosexualité, la maltraitance des enfants, la manipulation des individus, le libre arbitre … entre autres ! D’où l’impression d’une livraison en vrac des élucubrations d’un vieux monsieur acariâtre.
Les personnages sont aussi extravagants que l’intrigue. Nous avons notamment :
- Autopsy Bliss, procureur, un homme on ne peut plus sérieux, impeccable dans son costume trois-pièces. Il décide le plus naturellement du monde d’inviter le diable chez lui, comme si c’était son aimable voisin.
- Stella, épouse du procureur Bliss et mère de famille irréprochable. Elle reste cloîtrée dans sa maison parce qu’elle a peur de la pluie et qu’à tout moment, même par un ciel sans nuages, il peut pleuvoir. Elle pense aussi qu’il faut enlever, à l’aide des aimants du frigo, le métal du corps d’un mort pour alléger son âme avant sa pesée.
- Fielding, le narrateur, fils du procureur Autopsy, aurait pu se marier si au lieu d’accompagner sa future épouse dans l’église devant le prêtre, il n’était monté sur son toit pour réparer le clocher.
- Sal, le diablotin, venu de nulle part, mais capable de décrire l’enfer et de tenir des propos pleins d’une sagesse ancestrale. Il a deux grandes cicatrices dans le dos qui étonnent. Ça s’explique facilement : auparavant il était un ange, il avait des ailes qui sont tombées quand il a été banni du paradis.
- Elohim, nain et veuf, continue à vivre comme si sa femme était toujours avec lui : il met son assiette pour les repas et continue de laver ses vêtements. Avant de mourir son épouse l’avait cocufié avec un noir. Depuis il les déteste. Elohim va finir en gourou de secte haineux.
- On peut aussi signaler l’idée singulière qu’a eue la famille Bliss : utiliser l’horloge familiale comme cercueil. Cela permettait un bel effet original : voir le visage du mort à travers la vitre du cadran d’origine.
De tels protagonistes semblent sortis d’un roman humoristique, voire d’un pastiche, mais ce n’est pas du tout le style de l’autrice, loin de là. On ne rit pas beaucoup, il y a beaucoup de pleurs, c’est plutôt triste. Les malheurs se succèdent et les morts s’accumulent. Il y a même une sorte de complaisance dans la souffrance et la douleur. C’est écrit dans un style assez grandiloquent empreint d’une connotation religieuse et mystique.
Non seulement je ne suis jamais entré dans cette histoire, mais en plus j’y ai trouvé un côté ridicule là ou d’autres y ont vu de la poésie et de la fantaisie. Car il faut bien le dire : beaucoup ont apprécié ce roman, certaines évaluations que j’ai pu lire sont même dithyrambiques. L’été où tout a fondu, bien que paru après Betty, est en réalité le premier roman de Tiffany McDaniel (2016). Les éditeurs, moins indulgents que les lecteurs, l’ont d’abord refusé. Cependant une traduction en français, passée assez inaperçue, est paru en 2019 aux Éditions Joëlle Losfeld. Ce n’est qu’après le succès de Betty que sa maison d’édition, surfant sur cette réussite, s’est décidée à exploiter le filon en donnant une nouvelle chance à cette première œuvre.
L’été où tout a fondu de Tiffany McDaniel, un livre et une autrice définitivement pas pour moi, mais ils ont fait le bonheur de beaucoup d’autres. Nous sommes tous si différents !
Extrait :
— Il faut que tu retournes auprès de lui, Fielding. Ton père refuse de le faire. Il dit que c’est se conduire de manière idiote.
Sa voix s’est brisée et je ne suis pas certain qu’elle ait prononcé le mot idiote.
— Je ne comprends pas, Maman. Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ces aimants ?
— Que tu les frottes partout sur lui.
— Sur qui ?
— Grand.
— Mais pourquoi, Maman ?
— Pour enlever le métal de son corps.
Elle s’est tordu les mains, si fort que j’ai pensé qu’elle allait s’arracher les doigts.
— Quel métal, Maman ?
— On lui a entaillé le bras, non ? C’est ce que ton père m’a dit au téléphone.
— Il s’est fait cette entaille lui-même.
— Il ne s’est pas coupé lui-même, Fielding. (Elle se refusait à utiliser le mot suicide.) Il a été tailladé, tout simplement. Et quand il a été tailladé, un peu de métal est entré dans son corps. Il s’en détache toujours de la lame, un petit peu. Et ce métal en plus va l’alourdir.
« Toutes les âmes sont pesées quand vient la mort, et les âmes qui sont jugées dignes d’aller au paradis sont légères comme de la laitue. Elles ne sont pas alourdies de péchés. Nous devons nous assurer que l’âme de Grand pèse aussi peu que possible. Je ne veux pas que mon bébé aille en enfer. »
Niveau de satisfaction :
(3 / 5)
Tu n’es pas le premier à exprimer ces bémols, et je crois que je vais passer mon tour… J’ai récemment lu Betty, qui ne m’a pas non plus convaincue complètement.
Pour ma part j’ai peu lu de commentaires négatifs sur ce livre. Par contre j’en ai vu beaucoup qui encensaient ce bouquin et même quelques uns de dithyrambiques, à mon grand étonnement. Nous avons des façons bien différentes de lire un livre en fonction de notre personnalité et de notre vécu.
Même pas mal ! ^^
Tu soulignes des faits importants, en effet, j’avais fait aussi le calcul pour l’année où Fielding racontait son histoire, mais le fait que l’on soit en 2050 passé ne m’a pas perturbé, dans un mobil home, dans la misère, qu’importe l’année…
La mère est totalement loufoque, mais ce syndrome existe, mais il est plus pour les gens qui ont subi des inondations… j’ai aimé ce côté loufoque, décalé, dingue.
Comme j’ai aimé le fait que l’on ne sache jamais si Sal était bien un enfant abritant le corps de l’ange déchu ou pas… ce serait génial si c’était vrai.
Mais ma chronique aurait pu être le reflet de la tienne si je ne m’étais pas laissée emporter par le roman. On n’est jamais à l’abri de passer à côté d’une lecture, tout dépend parfois du moment, de son état d’esprit…
J’aime quand tout le monde ne se rejoint pas au même endroit, il faut de la distorsion, du contre-sens, des autres avis. Je lis souvent les avis négatifs ou mitigés sur Babelio, ils sont importants aussi.
Bonnes prochaines lectures à toi et bisous :-))
Je te remercie d’avoir pris la peine de me donner ton point de vue. J’apprécie que tu défendes la façon dont tu as lu ce livre qui est bien différente de la mienne. Tant que les gens qui ne pensent pas pareil pourront quand même se parler sans s’étriper, il reste un espoir pour l’humanité.
Bonnes lectures à toi aussi.
Bises.