L’illusion du mal – Piergiorgio Pulixi

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale :
2021 (Un colpo al cuore)
Date de publication française :
2022 – Gallmeister
Traduction (italien) :

Anatole Pons-Reumaux
Genres :
Enquête, thriller
Personnages principaux :
Rais Mava et Eva Groce, inspectrices de police à Cagliari – Vito Strega, vice-questeur à Milan

Après qu’un pédophile ait été acquitté parce que la procédure a traîné en longueur et que la date de prescription est arrivée, des milliers d’Italiens reçoivent une vidéo sur leur téléphone portable intitulée « La loi, c’est toi ». Elle montre le pédophile récemment acquitté, ligoté et complètement édenté. Un homme masqué explique que ceux qui ont reçu la vidéo peuvent voter en suivant le lien qui l’accompagne pour choisir entre le «OUI» pour la peine maximale et le «NON» si la punition déjà infligée (l’arrachage de toutes ses dents) leur paraît suffisante. La vidéo devient virale sur internet. Plusieurs centaines de milliers d’Italiens participent au vote. Ce n’est que le début des exploits de celui que les médias ont surnommé le Dentiste. La majorité de la population va soutenir ce vengeur masqué. À Cagliari, les inspectrices Rais Mava et Eva Groce sont chargées de l’enquête, mais vu l’ampleur que prend l’affaire, les autorités décident d’envoyer sur place un criminologue de haut vol : le vice-questeur Vito Strega.

Pulixi met en scène un genre de redresseur de torts qui a pour but apparent de pallier le laxisme de la justice. En fait il monte la population contre la police et la justice. C’est un semeur de colère sociale, il exacerbe la haine et la dirige contre le système judiciaire. L’emballement des réseaux sociaux amplifie la colère et certains médias avides d’audience en rajoutent dans le sensationnel. La grande intelligence du vengeur masqué est de savoir jouer avec les frustrations des gens et de mettre ainsi la population de son côté dans une inversion des rôles étonnante : en rendant justice, il est le bien, alors que la police qui le traque devient le mal.

L’auteur se livre à une critique sévère du système de justice : « l’Italie est un pays où il est courant de poursuivre les victimes, surtout si ce sont des femmes, tandis que les coupables courent en liberté ». Le rôle nocif des réseaux sociaux qui brouillent les frontières entre la réalité et la fiction est également évoqué. La corruption, notamment celle des magistrats, est aussi signalée. La dénonciation des tares du monde contemporain n’empêche pas l’auteur de construire une intrigue astucieuse et bien élaborée qui ménage des retournements de situation efficaces en maintenant un bon suspense.

C’est donc dans un contexte difficile que les policiers doivent enquêter. Rais Mava et Eva Groce, inspectrices de police à Cagliari, sont à pied d’œuvre. Elles sont aussi dissemblables que possible. Rais est une femme élégante et soignée. Elle est divorcée et doit s’occuper de sa fille, une adolescente vive et effrontée. Dans le passé, Rais a été trahie par des collègues, elle ne fait confiance à personne. Elle est impétueuse et colérique, elle jure souvent en sarde. Eva a un style vestimentaire radicalement différent : jean troué, veste en cuir de motarde, piercing au nez, Doc Martens et cheveux roux détachés qui lui donnent un air sauvage. Elle se déplace en moto. Eva porte une grande blessure en elle : la mort de sa fille dont elle s’estime responsable. Cela la pousse parfois à jouer les trompe-la-mort en prenant des risques inconsidérés. Au boulot, elle est posée et réfléchie. Le drôle de binôme que forment Rais et Eva est efficace, elles se chamaillent souvent et s’entendent pourtant bien. Elles ont obtenu ensemble de bons résultats. Le vice-questeur Vito Strega arrive de Milan pour renforcer l’équipe. C’est un homme imposant d’un mètre quatre-vingt-quinze, plein de muscles. Il a une autorité naturelle et une grande compétence. Il ne laisse pas indifférentes les deux policières, surtout Rais qui fantasme sur lui. Peut-être l’auteur en fait-il un peu trop dans le domaine du mâle dominant : grand, beau, fort et intelligent. Rais, Eva et Vito ont en commun d’être devenus des parias, mis sur la touche à cause du succès de leurs enquêtes respectives qui ont dérangé quelques personnages puissants et hauts placés. La diversité d’origine des divers protagonistes est illustrée par l’utilisation de mots ou de phrases en dialecte sarde, sicilien ou vénitien.

Ce roman mêle habilement critique sociale et enquête policière. C’est un polar réussi qui, même s’il se lit facilement, n’exclut pas la réflexion.

Extrait :
— Vous vous interrogerez sur les raisons de cette injustice. En réalité, c’est presque la norme. Les tribunaux devraient être une institution fiable. La loi devrait protéger les citoyens contre toute forme de violence perpétrée par un individu usant de sa force. Ça, c’est en théorie. Mais aujourd’hui, la loi ne défend que l’ordre établi, l’État, et ce en gravant dans le marbre les injustices et les inégalités, en discriminant des catégories sociales sans défense, en foulant aux pieds la dignité humaine et en anéantissant des victimes. Ce n’est pas une question de justice ou d’injustice. Mais seulement de pouvoir. Qui détient le pouvoir détient aussi la justice. La manière dont l’État opère son magistère punitif est totalement inadaptée aux cas individuels. Prenons celui-ci. Les causes ? Un système saturé. Des effectifs exsangues. Un arriéré judiciaire insoutenable. La loi impose de donner la priorité aux procès avec des détenus. Dès lors, ceux qui comparaissent librement sont relégués au second plan, et la moitié des dossiers finissent en prescription, comme dans le cas de notre ami. Ce système en crise produit de l’injustice au quotidien, dans une sorte de cercle vicieux… Pour moi, l’heure est venue de dire stop.

Quand les premières notes de Caught Out In The Rain emplirent le loft et que la chaude voix blues de la chanteuse commença à soulager son âme, Vito s’assit sur le Chesterfield confortable en cuir vieilli et ferma les yeux, bercé par les solos déchirants de la guitare de Joe Bonamassa.

Beth Hart – Caught Out In The Rain

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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