Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2021 (Albin Michel, Livre de poche)
Genres : Thriller, noir, historique
Personnages principaux : Simon, (psychanalyste), Beewen (Gestapo), Minna (psychiatre)
Berlin 1939.
De jolies femmes, mariées à des hommes riches et favorables au nazisme, se réunissent régulièrement à l’hôtel Adlon pour bavarder et sabler le champagne. Au cours de l’été, plusieurs d’entre elles se font mystérieusement tuer et éviscérer. La police officielle, la Kripo, est rapidement dessaisie de l’enquête, qui est alors confiée à la Gestapo. Plus particulièrement, à Franz Beewen, un colosse de 35 ans qui a déjà fait ses preuves dans les sections d’assaut.
Parmi les suspects interrogés par Beewen, le psychanalyste Simon Kraus, qui avait traité les victimes et qui avait même couché avec plusieurs d’entre elles avant de les faire chanter. Une de ces femmes avait déjà parlé à son époux d’un certain homme de marbre qui la hantait; or, des femmes ont raconté à Simon des rêves dans lesquels se serait manifesté un homme de marbre.
Beewen va visiter son père interné à Brangbo, hôpital pour aliénés dirigé par la psychiatre et baronne Minna von Hassel, désabusée et alcoolique. Il apprend avec intérêt qu’elle a fait sa thèse sur les tueurs en série et qu’elle connaît Kraus depuis l’université. Elle le tient pour un génie et un salopard.
Beewen, Kraus et Minna formeront une étrange équipe pour retrouver le psychopathe qui massacre ces femmes, comprendre son mobile et cette manie bizarre qui consiste à faire disparaître leurs chaussures.
Ce résumé porte sur l’aspect policier du roman mais fausse passablement l’essentiel du récit : on est à Berlin au moment où le nazisme fait la loi, la guerre se prépare, éclate, et contamine la population. Les nazis ont exterminé tellement de monde (Juifs, Gitans, malades mentaux, déshérités, homosexuels…) qu’ils doivent prendre des mesures radicales pour que les femmes produisent de futurs soldats du Reich. La population, malmenée par la dictature après avoir été appauvrie sous la République de Weimar, se noie dans les spectacles de cabaret, l’alcool et la drogue. C’est une fresque effrayante que Grangé peint sans complaisance. Et on s’attache aux principaux personnages, malgré la violence de l’un, le cynisme de l’autre et la fuite dans l’alcool de la troisième, parce qu’on comprend que leur enquête est leur planche de salut dans un océan qui les chavire cul par-dessus tête. Le monde hallucinant dans lequel ils évoluent les révèle à eux-mêmes et leur permet, en quelque sorte, de développer un embryon d’amitié fort peu prévisible. Après avoir été écartés aux quatre coins de l’Europe, Franz, Simon et Minna se retrouvent pour élucider le dernier problème de leur enquête. Après quoi, ils s’emparent d’un camion, lancent un Heil Hitler aux sentinelles pour sortir du camp, et foncent sur la route enneigée. « Un atome insignifiant dans un grand désert blanc. Un électron qui ne pouvait plus arrêter sa course insensée. Une particule qui contenait, sinon la promesse, du moins le rêve d’un avenir meilleur ».
Fresque historique impressionnante, description fascinante de l’évolution psychologique des principaux personnages, et saga policière où nos héros errent sans relâche mais rebondissent sans répit.
Extrait :
Le couvre-feu avait été instauré à Berlin. Plus une seule lumière dans la ville. Les réverbères, les néons des restaurants, les monuments habituellement éclairés, tout était plongé dans l’obscurité. Peu de voitures circulaient et, avec leurs phares occultés, il était difficile de les discerner. Les bus n’avaient pour se guides qu’une seule lanterne bleutée et les feux des tramways étaient eux aussi enveloppés de gaze noire. Quant aux fenêtres des immeubles, elles étaient toutes voilées par des tissus ou des couvertures.
Les piétons, et ils étaient nombreux (personne ne croyait encore à un bombardement), utilisaient des torches à ampoule bleue. Le résultat était une espèce de Voie lactée couleur saphir, une myriade de pierres précieuses répandues çà et là au pied des immeubles de Berlin, virevoltantes comme des lucioles.
Niveau de satisfaction :
(4,5 / 5)
Coup de cœur