Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2023 – Presses de la Cité
Genres : Enquête, roman noir, historique
Personnages principaux : Claude Tardy, inspectrice du travail – Sœur Placide religieuse en charge des filles de l’usine-pensionnat des Soieries Perrin
Département de l’Ain, décembre 1893.
Claude Tardy est inspectrice du travail. Elle est une des sept femmes en France à avoir réussi ce nouveau concours. Elle a été affectée, en tant que stagiaire, à Bourg auprès de l’inspecteur divisionnaire Edgar Roux. Lors d’un de ses contrôles, on vient de lui annoncer qu’il y a un mort dans une tréfilerie (c’est un atelier de fabrication de fil. Ici il s’agit de fils d’or). C’est un suicide concluent rapidement les autorités. Mais chose étrange peu de temps après lors d’un accident de travail dans une usine à glace, Claude et son supérieur découvrent dans un lac gelé un cadavre dont les traits sont identiques au suicidé de la tréfilerie.
Pendant ce temps, sœur Placide accueille les nouvelles pensionnaires des Soieries Perrin. Elle est attirée par une jeune fille qui ressemble beaucoup à une ancienne pensionnaire dont sœur Placide s’était prise d’affection et dont elle n’a plus de nouvelles depuis qu’elle a quitté le pensionnat.
Chacune de leur côté, Claude Tardy et Sœur Placide vont mener une enquête pour tenter d’éclaircir ces mystères. Leurs recherches vont les rapprocher et mettre à jour le côté sombre du pensionnat.
Ce roman met en scène deux enquêtrices pas ordinaires. Claude Tardy est une inspectrice du travail obligée de s’habiller et de se grimer en homme pour pouvoir exercer son métier. À cette époque les femmes ne pouvaient pas contrôler les établissements où il y avait soit des machines, soit des hommes. On ne leur laissait que les petites fabriques de couture et les ateliers familiaux. Mais le divisionnaire dont dépend Claude, vieil homme fatigué, qui voyait en l’arrivée d’un stagiaire l’occasion de lui confier son propre travail a été fort contrarié qu’on lui envoie une femme qu’il ne pourrait utiliser comme il le voulait, sauf s’il la déguisait en homme. C’est donc habillée en homme, cheveux plaqués sur la tête et affublée d’une fine moustache que Claude devient inspecteur. Sœur Placide est une religieuse austère au regard implacable qui en impose. Sous son aspect sévère, Placide a un cœur tendre, elle a éprouvé un sentiment quasi maternel pour une des petites qu’elle avait en charge. Elle a souffert quand la fille a quitté l’établissement pour se marier sans jamais donner de ses nouvelles. Elle est bouleversée de retrouver sous les traits de sa protégée une nouvelle venue. Elle décide de savoir qui elle est et d’où elle vient.
À travers les enquêtes de ces deux femmes, l’autrice nous décrit la révolution industrielle de la fin du XIXe siècle. Elle nous éclaire particulièrement sur la condition des petites filles, conditionnées et formées depuis leur plus jeune âge par des religieuses, pour servir de main-d’œuvre docile et malléable aux industriels qui en retour consacrent des budgets importants au culte et à l’entretien du patrimoine immobilier du clergé. Déjà la main-d’œuvre à bas coût était un critère important dans la concurrence grandissante, avec la Grande-Bretagne notamment. Aujourd’hui on parlerait de compétitivité.
Marques de fabrique est un roman à la fois distrayant par ses enquêtes méthodiques et instructif sur le contexte social de la révolution industrielle de la fin du XIXe siècle dont l’autrice nous révèle la face sombre. Un formidable premier roman !
Extrait :
Cette hiérarchisation des tâches permet de coller à l’ordre naturel, les hommes étant mieux payés que les femmes, et les enfants, moins que les adultes. La rentabilité est à ce prix : la concurrence grandit, avec la Grande-Bretagne notamment, et les cocons doivent désormais s’importer du Japon.
Surtout, l’usine-pensionnat est devenue un modèle de disciplinarisation des classes populaires, des orphelins, des femmes, selon des normes religieuses strictes, les seules à même d’éviter que la population ouvrière ne se retourne contre ses guides. C’est ainsi que l’Église met gratuitement à disposition des régiments entiers de religieuses dévouées et qu’en retour les industriels consacrent d’importants budgets au culte et à l’entretien du patrimoine immobilier du clergé.
Niveau de satisfaction :
(4,4 / 5)
Oh mais j’avais loupé ce billet ! Or, voilà un titre qui s’inscrit parfaitement dans le cadre des lectures thématiques que je souhaite proposer sur 2024, autour du monde ouvrier, et du monde du travail… Je retiens !
C’est avec plaisir que je participerai ainsi aux lectures thématiques que tu vas proposer.
Cher Monsieur (Raymond ?)
Je voulais simplement vous remercier infiniment, d’avoir eu la gentillesse de lire Marques de Fabrique, et d’avoir pris le temps d’en faire un retour à votre communauté. Sans l’accompagnement des blogs comme le vôtre, il serait bien difficile de faire connaitre un premier roman.
Ca ne sera pas le dernier, plusieurs autres sont d’ores et déjà écrits, et en cours. Je ne manquerai pas de vous prévenir de la sortie du prochain en mars 2024, « La constance de la louve », une histoire de meurtres en série dans la Lozère du début XIXème.
Encore merci,
Cécile Baudin
Merci Cécile pour ce message agréable. Je ne doute pas que « La constance de la louve » soit aussi réussi que « Marques de fabrique ». En attendant bon courage pour la rédaction de ce deuxième roman.