Dix âmes, pas plus – Ragnar Jónasson

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2019 (Porpio)
Date de publication française :
2022 (La Martinière)
Traduction (islandais) :
Jean-Christophe Salaün
Genre : Suspense
Personnage principal :
Una, enseignante

J’ai qualifié de géographiques les romans de Jónasson que j’ai lus. C’est peut-être encore plus vrai dans ce cas-ci : l’action se passe à Skálar, à l’extrémité nord-est de l’Islande : ancien village de pêcheurs, il ne reste qu’une dizaine d’habitants, isolés par la mer, le froid et la neige. C’est ici qu’aboutit la jeune Una, après avoir quitté Reykjavik et accepté un contrat d’un an pour enseigner à deux fillettes de sept et neuf ans.

Jónasson décrit surtout l’isolement de ce bled et la solitude d’Una d’autant plus difficile à supporter que les habitants sont solidaires et se méfient des étrangers. Una elle-même n’a pas une personnalité qui attire la sympathie : elle est mal dans sa peau (c’est pour changer le mal de place qu’elle a accepté le poste d’enseignante au diable vert); elle déplore que ses amies ne communiquent pas avec elle, mais il ne lui  viendrait pas à l’esprit d’essayer de les rejoindre; son remède contre la solitude et l’insomnie c’est l’alcool; enfin, elle est plutôt rigide et ne brille pas par son intelligence.

Des lecteurs la trouveront peut-être attachante et sympathiseront avec ses cauchemars causés vraisemblablement par le fait qu’on lui a dit qu’elle habitait une maison hantée où une fillette était morte mystérieusement il y a plusieurs années. Son esprit est confus et elle imagine entendre des comptines d’enfants et percevoir des espèces de fantômes. Ces hallucinations lui semblent d’autant plus réelles que les habitants  partagent un secret dont elle est exclue. Le fait que la petite fille de sa logeuse meure subitement, sans cause apparente, n’améliore pas la situation.

Parallèlement à cette histoire se déroule une série d’événements où un criminel commet un meurtre pour lequel seront condamnés trois jeunes qui sont probablement innocents. Ces épisodes finiront par recouper plus ou moins habilement l’histoire principale. Quand Una constatera la relation entre ces crimes et certains habitants de Skálar, elle deviendra encore plus confuse.

Jónasson a du plaisir à décrire l’atmosphère étouffante dans laquelle se morfond Una. Les personnages sont aussi bien circonscrits, de même que leur solidarité et leur méfiance vis-à-vis de tout ce qui n’est pas eux. L’intrigue policière, s’il en est une, est bien secondaire par rapport au problème de savoir si Una parviendra à s’intégrer ou finira par retourner à Reykjavik. Cet aspect du roman est captivant.

Pour moi, ça s’est gâté vers la fin : la scène où Thor et Hjördis confient leur secret à Una est franchement invraisemblable, car ils ont eu le temps, comme tout le monde, de constater sa fragilité. Mais la dernière page montre que l’auteur apprécie l’invraisemblable. C’est bien dommage.

Extrait :
Il faut que j’essaie de comprendre ce village un peu mieux, dit Una.
─ Comment tu t’y sens ?
Una hésita. Elle voulait mentir, éviter un long débat, dire que sa vie ici ressemblait à un rêve, décrire à quel point c’était merveilleux d’habiter au cœur de la nature, de bénéficier d’une telle tranquillité. Cela aurait été la réponse la plus facile.
─ C’est … c’est assez horrible, en fait, admit-elle finalement. Je ne m’entends pas avec les habitants, et je crois qu’ils ne m’aiment pas. C’est un lieu étrange, il y a beaucoup de chagrin. Et trop de secrets. Je ne suis pas sûre de tenir jusqu’à la fin de l’année.
Sara mit un petit temps à répondre.
─ Je … je ne m’attendais pas à ça. Je croyais que tu étais heureuse là-bas.
─ Je ne le suis plus. Je ne l’ai peut-être jamais été (…) Je ne me sentais pas bien à Reykjavik non plus. J’avais besoin d’un changement de décor. Ce n’est tout simplement pas le bon endroit.

Skalar

Niveau de satisfaction :
3.4 out of 5 stars (3,4 / 5)

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