Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2013 (Québec Amérique)
Genres : Enquête, cold case
Personnages principaux : Vicky Barbeau (SQ), Patrice Durand (commissaire/France)
Marie Laberge est une de nos grandes écrivaines québécoises qui a été honorée par plusieurs prix en trente ans. Au début des années 80, j’avais vu sa première pièce de théâtre, C’était avant la guerre à l’Anse à Gilles : quelle écriture! Toute une révélation! La force d’un Montherlant, l’élégance raffinée et poétique d’un Giraudoux. Associations plutôt outrées, sans doute, mais telles étaient mes références à l’époque. En plus de sa douzaine de pièces de théâtre, Laberge a écrit depuis 1989 onze romans, dont deux romans dits policiers; Mauvaise foi est le onzième. J’avais lu il y a quelques années Sans rien ni personne (2007), son premier polar, qui n’avait pas enchanté le milieu. J’avais trouvé qu’il y avait sans doute une centaine de pages de trop, mais je craignais que plusieurs n’appréciaient pas que la grande Laberge vienne s’immiscer dans le petit monde du polar. Je n’avais rien écrit à ce moment-là.
Cette fois-ci, j’ai décidé de me reprendre. Mal m’en prit.
Dans un petit village paisible du Saguenay, Sainte-Rose-du-Nord, une femme sans histoire (ou si peu) est sauvagement assassinée en 1985. Son fils, fragile et démuni, un coupable idéal pour des enquêteurs pressés, est condamné à 25 ans de prison : Paul Provost, le jour de ses dix-huit ans, s’était rendu chez sa mère qui lui préparait un souper d’anniversaire. Il l’avait trouvée, selon ses dires, tuée d’un coup de hache. Un ami de Paul, informé du succès des enquêtes de Vicky Barbeau de la Sûreté du Québec et de son copain Patrick Durand, commissaire français, leur demande de revoir le cas et de tenter d’innocenter Paul, pour qu’il puisse bientôt revenir dans son village lavé de tout soupçon.
Je comprends qu’on ne peut pas procéder comme si le meurtre avait été commis hier, alors qu’il a été perpétré il y a 22 ans. Les cold cases (affaires classées) impliquent des méthodes différentes. Malheureusement, je ne crois pas que Marie Laberge connaît ces procédures particulières, ou alors les enquêteurs Barbeau et Durand auraient besoin d’une mise à niveau. Ce polar n’est pas vraiment un roman d’enquête; c’est plutôt un polar spéculatif. Les enquêteurs, malgré quelques va-et-vient entre Montréal et le Saguenay, fouillent surtout dans leur imagination débridée. Ils rencontrent, évidemment, tous les membres de la famille touchés par la mort d’Émilienne mais, comme ceux-ci se souviennent mal ou, pire, croient se souvenir, comme ils ont tous quelque chose à cacher, comme plusieurs d’entre eux ne sont pas fiables parce que plus ou moins handicapés par la maladie (une demeurée, un alcoolique, une passionnée violente qui opère des virages à 180 degrés, des prêtres qui mentent avec bonne conscience pour sauver leur peau ou le monde, des naïfs aisément manipulables…), les enquêteurs passent leur temps à placoter en tête à tête autour d’un scotch et à élaborer des centaines d’hypothèses. Bref, ça placote plus que ça bouge.
Ces placotages stériles épuisent les enquêteurs, surtout le lecteur (manque de scotch!). Et les deux enquêteurs ne sont pas très sympathiques et plutôt caricaturaux : le Français en autorité plutôt chiant et macho, la Québécoise faussement agressive parce que secrètement séduite. Je n’avais gardé aucun souvenir de leur présence dans le polar précédent.
Par ailleurs, l’auteure nous raconte bien des histoires mais elle ne nous montre pas grand chose; par exemple, elle nous répète cent fois que le paysage est superbe au lieu de nous le décrire; faut la croire sur parole. J’ai souvent eu l’impression que c’était une pièce de théâtre pour quelques personnages, ou mieux un film à petit budget, très dépouillé.
En fin de compte, les hypothèses de nos policiers ne mènent pas à grand chose et, après que le lecteur eût avalé bien des couleuvres, un témoin surprise se manifeste, parce qu’il faut bien que le roman finisse enfin.
Certains ont insisté favorablement sur la critique directe de l’autorité et du secret qui caractérisent la hiérarchie catholique, particulièrement les prêtres manipulateurs et pédophiles. Sans doute, mais j’imagine que, si ce roman avait été publié il y a trente ou quarante ans, la portée sociale aurait eu plus d’impact.
Bref, pour ma part, une grande déception.
Extrait :
Vicky regarde Patrice s’agiter en arpentant la pièce. Elle le laisse exprimer le trop-plein d’émotions que le témoignage de Corinne a provoqué. Depuis qu’elle travaille à l’Escouade des crimes non résolus, les histoires de viols et d’abus sexuels perpétrés envers des enfants sont celles qui suscitent toujours les plus violentes réactions. Anticléricale depuis son adolescence, Vicky écoute avec indulgence Patrice s’excuser de ses propos « probablement infamants » envers l’Église et ses commettants. Il y a longtemps qu’elle a émis les mêmes reproches, s’il savait!.
Ils doivent se rendre chez Jasmin où ils sont attendus. Vicky espère que le trajet jusqu’à Saint-Basile-de-Tableau leur permettra de réfléchir à tout ce qui est modifié par les nouvelles informations recueillies. Mais, même au volant, Patrice a du mal à décolérer.
Il lui fait un long discours sur la sexualité déviée parce que déniée. Il s’enflamme en énumérant tous les scandales sexuels que l’Église a non seulement camouflés, mais invités à proliférer par son silence. Il en a long à redire sur la contrition et l’absolution, sur la vertu réparatrice du pardon : pour lui, le pardon ecclésiastique revient à une forme de renforcement positif du crime. Celui qui pardonne, qui efface, laisse le danger en place. Il se retourne pour voir la tête de Vicky : elle dort. Appuyée contre la portière, la tête légèrement inclinée, les mains ouvertes sur la carte routière posée sur ses genoux, elle dort profondément.
Patrice ralentit en souriant : le voilà le secret de l’énergie de sa collègue. Au lieu d’argumenter contre l’impossible et l’immuable, elle se repose.
Il remercie mentalement Corinne de lui avoir donné des indications précises, parce qu’il aurait raté l’embranchement trop discret de la route.
Il arrête la voiture en arrivant à Tableau, avant d’atteindre la maison de Jasmin. Le point de vue est à couper le souffle. Il effleure d’un doigt caressant la joue de sa compagne et elle sursaute en ouvrant les yeux.
« Alors quoi? On roupille au lieu d’écouter mes longs discours fumeux? »
Elle sourit, regarde le panorama : « Wow! »
— Oui, je partage votre opinion. Je ne vous dis pas la galère pour y arriver, mais ça vaut le détour, comme dirait le guide. »
L’émotion qu’a procuré cette lecture est très bien décrite, bravo !
Je n’avais jamais entendu parler de cette auteur et je n’ai aucune envie d’y aller voir.
Le côté « vide » d’émotions dans une histoire me laisse toujours amère.
Au diable alors l’amertume et je passe …
Mais j’ai appris un mot : placotages
Merci 😀
Bonjour, fidèle Fabe, je ne voudrais pas donner une mauvaise impression de Marie Laberge en général. Elle demeure une grande dramaturge. Mais, le genre polar, elle ne le maîtrise vraiment pas.