Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2012 (Gideon’s Corpse)
Date de publication française : 2013 (L’Archipel)
Genres : aventure, enquête, poursuites, thriller
Personnages principaux : Gideon Crew, enquêteur et physicien
Douglas Preston et Lincoln Child (ne pas confondre avec Lee Child) ont écrit ensemble, depuis les années 90, plus d’une quinzaine de thrillers. Il leur arrive aussi d’écrire séparément, mais leurs plus grands succès sont dus à leurs ouvrages conjoints. Le personnage de Pendergast a quelque chose de fascinant : une sorte de Sherlock Holmes moderne, travaillant pour le FBI, indépendant de fortune, rompu aux arts martiaux, brillant et d’une intuition quasi surnaturelle. C’est pour ça que j’ai été séduit par une dizaine de romans. La trilogie de Pendergast (Le Violon du diable, Danse de mort et Le Livre des trépassés, 2004-2006) représente un point culminant dans les aventures de Pendergast, qui doit affronter son frère Diogène, un génie du crime. Étrangement, c’est à ce moment-là que j’ai lâché : Pendergast était si surhumain que l’émotion ne suivait plus : on ne pouvait plus avoir peur pour lui.
Je suis tombé un peu par hasard sur une de leurs dernières œuvres et j’ai voulu savoir s’il restait quelque chose de notre histoire d’amour. C comme Cadavre s’inscrit dans la ligne des fantasmes cauchemardesques actuels : une bombe nucléaire a été fabriquée, semble-t-il, pour contaminer la ville de Washington; qui la détient ? Des terroristes djihadistes, une secte anti-américaine de Ute Creek, ou l’écrivain original Simon Blaine retiré dans sa grande maison le long de l’Old Santa Fe Trail ? Les villes importantes sont évacuées; toutes les forces de l’ordre sont monopolisées. L’agent du FBI Stone Fordyce et l’aventurier Gideon Crew ont un pas d’avance sur les autres, même si les équipes du Service d’urgence nucléaire n’aiment pas beaucoup cette concurrence. Gideon est embarqué dans cette histoire un peu malgré lui : son ex-camarade de travail au centre nucléaire de Los Alamos, Reed Chalker, tient en otages quatre personnes dont deux enfants, et est sous l’emprise d’une crise de paranoïa, prétendant, entre autres, être victime de radiations nucléaires. Gideon sert de médiateur, mais ça tourne mal. Des indices l’inciteront à penser que Chalker appartenait à un groupe pour lequel il avait fabriqué une bombe nucléaire qu’on ferait exploser dans une douzaine de jours dans la région de Washington.
L’enquête se complique quand on persuade Stone que Gideon était complice de Chalker. Gideon, accompagné de la fille de Simon Blaine, Alida, se retrouve, donc, malencontreusement coincé entre les forces de l’ordre, qui le talonnent de près, et les terroristes qui cherchent à l’éliminer. Pour se sortir de là, il aura besoin de la ruse de James Bond et de la chance d’Indiana Jones.
C comme Cadavre est le deuxième roman qui met en scène Gideon Crew. Physicien dans la trentaine, Crew travaille pour Eli Glinn, directeur d’Effective Engineering Solution de New York, un organisme plutôt secret au service des intérêts des États-Unis. Personnage qui n’a pas l’envergure d’un Pendergast, Crew est un être débrouillard mais tragique, dans la mesure où il semble qu’une malformation congénitale le condamne à mourir dans un an. Sa capacité à se sortir de n’importe quelle situation, même poursuivi par des dizaines d’hommes bien armés, nous incite, me semble-t-il, à ne pas le prendre trop au sérieux. J’ai cité Bond et Indiana Jones; en fait, les beaux hasards et les nombreuses invraisemblances font plus penser à Indiana Jones. On dirait même que certaines scènes en sont directement inspirées.
Une des grandes forces de Preston et Child était de créer des lieux qui imprégnaient longtemps notre mémoire : un musée aux ramifications complexes, un laboratoire perdu dans le milieu de nulle part, un bateau enfermé dans les glaces… Dans C comme Cadavre, on se promène dans trop de lieux pour qu’un, en particulier, accapare toute notre attention. Côté personnages, les auteurs focalisent sur Crew, Fordyce et Alida. Surtout sur Crew, physicien et voleur plutôt freak, et Fordyce, agent du FBI plutôt straight, couple improbable au départ, mais finalement complémentaire et complice au cœur de l’action. Ce n’est pas une thématique originale, mais c’est assez bien rendu.
Enfin, on sait que la catastrophe doit se produire dans les douze jours, mais cette échéance parvient difficilement à créer une ambiance de suspense. Le roman ressemble à un scénario de film; dans un scénario, le rythme est important mais la création des images est laissée, en grande partie, au réalisateur. Bref, nous avons là des matériaux pour un bon film.
Extrait :
Le wagonnet menait un train d’enfer sur ses rails, dans l’obscurité totale. Gideon, accroupi au fond du chariot, s’attendait au pire.
− Un frein ! lui cria Alida. Cet engin doit bien avoir un frein !
− Où avais-je la tête ?
Il alluma le briquet. La flamme s’éteignit presque aussitôt, soufflée par le courant d’air, mais il avait eu le temps de distinguer une pédale métallique sur le côté du chariot, entre les roues. Il pesa de tout son poids sur le métal rouillé et une gerbe d’étincelles jaillit dans la nuit. Le wagonnet décéléra brutalement en vibrant dangereusement, menaçant de dérailler. Un instant projeté en avant, Gideon relâcha la pression et freina plus progressivement. Le chariot trembla, gronda, cria, mais finit par s’immobiliser.
− Bien joué, monsieur le Serre-Frein.
Gideon descendit prudemment et tourna la molette du briquet. Le tunnel se poursuivait au-delà de ce qui semblait être un début de virage. Il était impossible de le vérifier car un amas de roches tombées du plafond bloquait le tuyau sur toute sa largeur.
− Mon Dieu, bredouilla Alida. Tu as arrêté le wagonnet juste à temps.
Les cris lointains des hommes du Sun leur arrivèrent, déformés par la distance. Le répit serait de courte durée.
− Viens, répondit Gideon en lui tendant la main.
Ils entamèrent l’escalade des rochers. Ils s’orientaient à la lueur du briquet que Gideon allumait épisodiquement. Un bruit de course leur parvint.
− Je n’ai pas besoin qu’on me tienne la main, s’agaça Alida en cherchant à se dégager.
− Moi si.
Le sommet du tas de cailloux atteint, ils redescendirent de l’autre côté et s’enfoncèrent dans le tunnel. Ils avaient franchi deux autres éboulements lorsqu’ils en découvrirent un troisième qui obstruait entièrement le passage (…)
− Hé ! Là-bas ! fit une voix, ponctuée par un coup de feu.
Gideon souffla la flamme du briquet et se mit en position accroupie. Si jamais une balle atteignait par erreur les détonateurs…
Un nouveau coup de feu retentit (…)
Tenant son .45 d’une main et le briquet de l’autre, Gideon visa le tas de détonateurs. Au fond du tunnel, les lumières se rapprochaient.
− Là ! lança une voix.
Son coup de feu se noya dans le vacarme des détonations de l’adversaire. L’explosion des détonateurs le projeta violemment en arrière, lui coupant le souffle, et le plafond s’écroula dans un tonnerre assourdissant.