Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2016 (The Lancaster Gate Terror)
Date de publication française : 2016 (10/18)
Genre : Enquête
Personnage principal : Thomas Pitt, Chef de la Special Branch
C’est le trente-et-unième roman de la série des Thomas Pitt; je les ai tous lus, bien aimés pour la plupart, et plusieurs ont été commentés sur Sang d’Encre Polars. Prenons donc pour acquis que : comme les principaux personnages sont récurrents et vieillissent avec le temps (de 1881 à 1899), mon revenez-y suppose que j’aime ces personnages, en particulier l’enquêteur Pitt, d’abord inspecteur, puis commissaire à Bow Street, enfin agent et chef de la Special Branch. Ça suppose aussi que j’aime ce genre de polars d’enquête et l’époque où se déroulent les événements. Je n’insisterai donc pas sur ces facteurs et concentrerai mes propos sur l’énigme et son dénouement.
C’est la fin du XIXe siècle : il y a de la fébrilité dans l’air. On ne prend pas trop au sérieux les prophètes de malheur qui prédisent la fin du monde, mais c’est certain que les anarchistes ont le vent dans les voiles. C’est pourquoi, lorsqu’une bombe fait sauter une maison dans laquelle se trouvent cinq policiers, on pense d’abord à un coup des anarchistes. Les regroupements anarchistes sont presque tous noyautés par la police et les enquêteurs s’aperçoivent assez rapidement que le danger ne vient pas de là. D’ailleurs, l’attentat n’est pas revendiqué. Il n’en reste pas moins que trois policiers sont morts et que les deux autres sont estropiés à jamais.
Se pourrait-il qu’il s’agisse d’un crime plus personnel et que les policiers en question aient été visés en tant que tels, et pas seulement pour semer la terreur dans la ville ? On découvre que ces cinq policiers ont souvent enquêté ensemble, notamment il y a deux ans sur une affaire d’achat de drogue qui avait mal tourné : un individu avait été tué, un autre s’était enfui et un autre avait été arrêté, jugé et pendu.
Quel est le rapport entre cet incident et l’explosion? Pitt et Tellman doivent enquêter sur les policiers eux-mêmes, ce qui est suffisant pour que leur vie soit menacée. Il semblerait que quelqu’un ait tenté d’exiger une autre enquête dans le but d’innocenter Dylan Lezant. Mais comme cette personne, Alexander Duncannon, est l’ami de Lezant, qu’ils sont opiomanes tous les deux, et que le rapport des cinq policiers présents sur les lieux va dans une toute autre direction, les efforts d’Alexander sont restés vains. Une autre maison saute, cependant; les autorités exigent des résultats. Pitt pense que c’est peut-être le seul moyen qu’a trouvé Alexander pour éveiller l’attention des forces de l’ordre.
Si Alexander est dans le vrai, alors les policiers ont couvert un homicide et envoyé à la potence un innocent; cette hypothèse suffit à discréditer la police dont les membres sont tricotés serrés. Si Alexander est dans le vrai, ça implique aussi pratiquement que c’est lui le meurtrier des 3 policiers; l’adversaire de Pitt sera alors le père d’Alexander, Godfrey, haut fonctionnaire qui négocie actuellement un important traité commercial avec la Chine, et qui refuse de voir sa mission compromise par un scandale. Pour Pitt et Tellman, une lutte contre le corps policier, l’argent et les puissances politiques est un combat fort probablement voué à l’échec. À moins qu’une stratégie rusée et risquée de Narraway, l’ancien Chef de la Special Branch, n’aboutisse à un résultat paradoxal mais satisfaisant.
Les idées principales du récit, le rôle des forces de l’ordre, le sens de la démocratie, le respect de la vérité, la loyauté et la solidarité, sont souvent reprises par Perry, un peu comme le ferait un pédagogue qui a le souci de se faire comprendre. Pas comme une prédicatrice ou une militante. Ces idées orientent le récit, mais ce n’est pas l’essentiel. A part le déroulement de l’intrigue très soigné, Perry décrit avec beaucoup d’acuité les sentiments des personnages, plus par leurs gestes que par leur analyse. C’est pourquoi ils sont si vivants et si crédibles. C’est pourquoi aussi le récit stimule notre intelligence et émeut notre sensibilité.
Extrait :
« Cette attaque visant nos policiers passe avant tout. La police constitue notre première ligne de défense contre l’anarchie, le désordre civil, voire la perspective d’une révolution.
Toute l’Europe est en proie à des troubles. D’ici dix à quinze ans, tout au plus, ce sera le chaos si nous ne reprenons pas le contrôle de la situation. Le socialisme progresse en Russie, en Allemagne, en France. Les Balkans sont au bord de la guerre. Qui va se cramponner à l’ordre, sinon nous ?
Nous ne devons, ni ne pouvons décevoir ceux qui comptent sur nous. Trois hommes sont morts et deux vont rester affreusement mutilés. Bossiney a été un excellent témoin. Ses cicatrices ont fait forte impression sur les jurés. Ils n’ont pas fini d’avoir des cauchemars. Son visage me hantera pendant des années. »
Ma note : (4,3 / 5)