Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2014 (The Burning Room)
Date de publication française : 2016 (Calmann-Lévy)
Genre : Enquête
Personnage principal : inspecteur Harry Bosch (Los Angeles)
J’ai laissé tomber Connelly il y a une couple d’années : je trouvais Harry Bosch trop démoralisant. J’ai eu du mal aussi à regarder la série télévisée qui emprunte son nom. Mais, comme la célébrité de Connelly n’a cessé de grimper, et même que l’ex-président Clinton a affirmé que ses romans lui avaient beaucoup appris sur le fonctionnement de la justice aux États-Unis, il est temps que j’y remette le nez, d’autant plus que Bosch va bientôt prendre sa retraite.
Comme les autorités policières et politiques s’appliquent à ce que le bouillant inspecteur ne brasse pas trop de merde avant de partir, on lui confie un cold case. Le genre de cas qu’on est loin d’avoir résolu parce qu’il n’y a pas un seul indice. Sur la Mariachi Plaza, il y a dix ans, le musicien Orlando Merced s’était fait abattre; et, cette semaine, il venait tout juste de mourir… Il avait pris du temps à mourir, rongé par une balle qui s’était logée dans une vertèbre, faisant de lui un hémiplégique. La Place était bondée et il était difficile de savoir qui tirait sur qui. Pas de motif, pas d’indice, pas de raison. Depuis dix ans, les enquêteurs n’ont rien trouvé. Sauf que là, en faisant l’autopsie, on a trouvé la balle. C’est un bon point de départ.
Pour aider Bosch, on lui joint Lucia Soto, une inspectrice de peu d’expérience mais aidée par son statut de mexicano-américaine (elle parle l’anglais et l’espagnol), et du fait qu’elle venait d’abattre deux malfrats armés (membres du violent gang de la 13e rue) et d’en capturer deux autres dans le vol d’un magasin de vins et de spiritueux de Pico-Union.
Le riche conseiller municipal Armando Zeyas avait reçu à jouer chez lui le petit orchestre de Merced avant qu’il soit abattu, et il avait pris sa convalescence en main tout en visant le poste de maire avec bonne conscience. Il avait remporté ainsi deux mandats. Puis, il avait perdu mais, veillant maintenant sur l’affaire Merced, il comptait bien reprendre le pouvoir.
Tous se méfient de Bosch; c’est pourquoi on s’est efforcé de lui avoir livré un cas qui fera long feu. Mais Bosch se méfie aussi de tout le monde : ses patrons, les hommes et femmes politiques, les journalistes (sauf une peut-être), les riches, les gangs évidemment, les collègues, y compris la petite Lucia Soto. Et Lucia paraît plus s’intéresser à un autre cas que celui qu’on leur a confié. De sorte que nos enquêteurs passent allègrement du cas de Merced à celui de l’incendie criminel d’il y a vingt ans, à l’époque où des enfants sont morts, et à celui aussi d’un vol de banque simultané réglé avec minutie.
L’ensemble est complexe mais composé de façon telle qu’on n’a pas trop de mal à suivre, à condition de ne pas prendre trois semaines pour le lire. À un niveau macro, Connelly déplace de gros ensembles qui finissent par s’imbriquer avec art les uns dans les autres. À un niveau micro, Connelly fait penser aux peintres miniaturistes : tous les détails de l’enquête sont exposés par le menu, et c’est un peu fastidieux. Le personnage de Soto est original et l’idée de la coupler à Bosch est intéressante. On retrouve, par ailleurs, les mêmes officiers de police opportunistes et ambitieux que dans ses autres romans, des requins semblables, habiles financiers ou politiciens, qui ont soif d’argent et de pouvoir, et cette tendance, peut-être plus neuve aujourd’hui, d’asseoir confortablement dans des postes d’administrateurs des décideurs incompétents. Le caractère de Bosch ne s’améliore pas et ce ne sera pas facile pour lui de discuter avec sa fille ni d’entamer une retraite.
Extrait :
Ce jeudi matin-là, enfin il arriva au bureau avant elle. Le jour n’était pas encore levé qu’il s’était déjà acheté un café dans un Starbucks ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il trouva les feuilles des appels anonymes sur le bureau de Soto et s’attaqua aussitôt à la rédaction d’une demande de mandat qui leur permettrait de localiser le portable utilisé par l’anonyme qui ne cessait de se plaindre que la police étouffe l’affaire d’Orlando Merced.
L’arrivée du téléphone portable avait déclenché une véritable révolution dans l’application de la loi telle qu’on la pratiquait depuis deux décennies. Le Communications Assistance for Law Enforcement Act[1] de 1994 avait été revu et son champ d’application étendu presque tous les ans pour s’adapter à un environnement électronique en perpétuelle mutation et aux multiples façons dont en profitaient les criminels. La loi exigeait maintenant de tous les fabricants et fournisseurs d’accès qu’ils intègrent des mécanismes de surveillance dans tous leurs appareils et systèmes d’exploitation. C’est là que le test ping entrait en jeu. Un portable ou un jetable non déclaré donnait peut-être l’impression d’être l’instrument idéal pour des appels anonymes légaux ou illégaux, mais l’appareil lui-même n’en restait pas moins traçable et localisable par sa connexion constante avec les tours relais et le réseau cellulaire. Avec un mandat, l’unité technique du LAPD était capable d’envoyer des impulsions électroniques, ou « pings », au téléphone inconnu et d’ainsi découvrir où il se trouvait à cinquante mètres près par croisement des latitudes et des longitudes. Et cette unité travaillait vite. Dès que l’ordre de test ping était signé, toute l’opération de mettait en branle en moins de deux heures.
[1] La loi d’assistance aux forces de l’ordre dans le domaine des communications.
Ma note : (3,5 / 5)