Les animaux – Christian Kiefer

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2015 (The Animals)
Date de publication française : 2017 chez Albin Michel
Genres :
Roman noir, grands espaces
Personnages principaux : Bill Reed, propriétaire d’un refuge pour animaux blessés – Rick Springfield, ami d’enfance de Bill

Nat et Rick étaient amis d’enfance. Ils étaient inséparables. Jeunes, ils sont tombés dans la délinquance. Rick a fini en prison tandis que Nat a changé de nom, d’endroit, de vie. Maintenant il tient un refuge pour animaux blessés que lui a légué son oncle, dans l’Idaho. Il envisage d’épouser la vétérinaire qui soigne ses animaux, une charmante maman d’un petit garçon. Il les adore tous les deux. Tout irait pour le mieux si Rick, qui a purgé sa peine de prison, ne l’avait contacté pour réclamer ce qu’il estime être son dû. Mais Nat n’a rien à lui restituer, la confrontation des deux anciens amis devient inévitable.

L’auteur nous présente d’abord Bill, le sauveur des animaux. C’est lui qui récupère toutes les bêtes amochées, souvent par les voitures, parfois par les chasseurs ou par les pièges posés par les hommes. Bill se charge aussi d’abréger les souffrances des animaux mortellement touchés. Il vit au milieu des ours, des loups, des pumas, des rapaces et autres. Pour combler sa solitude il leur parle. Le plus sociable est le grizzli aveugle Majer qui adore les friandises. Le plus farouche est Zeke, le loup à trois pattes. Puis on découvre le passé de Bill, qui ne s’appelait pas ainsi quand il était jeune, ses liens avec Rick, son grand ami d’alors. Par chapitres alternés on passe du présent au passé pour découvrir l’histoire tourmentée de Bill qui n’a pas toujours été l’homme paisible, l’ami des animaux, apprécié dans la région. Cette résurgence du passé compromet un avenir qui s’annonçait favorable. La personnalité de Bill, un bon gars dévoué, se révèle beaucoup plus trouble et complexe.

L’intrigue est très bien élaborée pour permettre une montée progressive de la tension. La partie finale, sombre et dramatique, conclut magnifiquement cette histoire.

Le décor sauvage de l’Idaho, avec la neige qui recouvre tout et les forêts sombres qui entourent le refuge, donnent au roman une belle ambiance de solitude où l’homme et les animaux doivent faire face à l’âpreté de la nature environnante magistralement décrite par l’auteur.

Les multiples thèmes abordés dans ce roman : la trahison, la culpabilité, la vengeance, la rédemption, procurent à ce livre beaucoup de densité.

L’écriture à la fois simple et très évocatrice donne de la puissance à ce beau roman noir. Pour une fois le bandeau publicitaire qui orne la couverture m’a paru exact : « Un jeune écrivain au talent rare. Une formidable découverte. » (Richard Ford).

Extrait :
Dans ton esprit défilent des pick-up équipés de râteliers et des hommes moustachus brandissant des armes qui crachent le feu et la fumée au milieu des arbres. Tu vois aussi les animaux. Les corps catapultés, dérapant dans leur propre sang, éventrés sur la neige. La marmotte et le rat musqué. L’ours brun et le grizzli. Le castor, le raton laveur et le lièvre à raquettes. Les grands félins qui s’effondrent en feulant et en gémissant. Couguars, lynx, pumas. Tu vois les griffes qui ne déchirent que le vide, les dents qui heurtent la glace. Le cerf, le wapiti et l’orignal. Et, tombant du ciel, les premières gouttes de sang épais qui teignent la blancheur de papier de la terre froide, leur chaleur creusant des cratères bordés de rouge comme l’orifice d’une balle. Et la pluie de sang s’abat plus drue, une cataracte qui n’en finit plus de couler, un torrent aux relents de mort. Le premier oiseau, petite ombre noire, dégringole de branche en branche et touche enfin le sol enneigé, presque sans bruit. Un souffle à peine audible, comme une brève expiration. Un colibri aux plumes vertes, pas plus grand que ton doigt. Tu le recueilles au creux de ta main, mais déjà il est trop tard. Pour lui, pour tous. Voici à présent le pivert, le martin-pêcheur et la fauvette. Et enfin le faucon, la chouette et l’aigle. Le battement impuissant de leurs ailes contre le corps recroquevillé, comme pour décrocher un dernier morceau de ciel au milieu de l’averse sanglante qui les submerge. Nous sommes tous des tueurs, et tout en ce monde apporte la mort. La mort se niche dans la neige et dans la litière d’aiguilles sèches, elle est dans la terre gelée que foulent nos pas. Nous sommes tous des tueurs.

Même toi.

… quand Nat les baladait en ville au volant de sa Datsun, il le passait sans cesse sur le blaster posé sur ses genoux, rembobinant fréquemment la bande pour rejouer le premier morceau, « Tom Sawyer », dont les accompagnements de guitare et de batterie étaient déformés par les haut-parleurs minuscules.

Rush – Tom Sawyer

Majer leva les yeux vers lui, frottant son museau contre la clôture.

Ma note : 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

 

 

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2 réponses à Les animaux – Christian Kiefer

  1. Thank you so much for reading Les Animaux. Very glad you enjoyed it!

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