Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2016 (Fleuve noir)
Genres : Roman noir, fantastique
Personnages principaux : Rory, grand gaillard asocial et révolté – Lupa femme-loup
Rory est un grand escogriffe qui vit seul à la campagne. Un jour il trouve un type en train de fouiller chez lui à la recherche d’on ne sait quoi. Et comme si ça ne suffisait pas, arrive une jeune femme, menue comme un enfant, qui insulte le voleur … et le type se tire aussitôt une balle dans la tête ! Rory, qui avait l’habitude de la solitude et de la tranquillité en faisant pousser son potager, est éberlué. Mais il n’est pas au bout de ses surprises. D’abord il trouve la fille très étrange, puis peu de temps après, deux mecs se pointent, embarquent la fille et Rory après l’avoir assommé au préalable. Malgré lui, Rory va être plongé dans une bien surprenante aventure où il est question d’une secte qui garderait une créature immortelle.
L’intrigue dose savamment suspense et mystère pour dévoiler, petit à petit, les dessous d’une affaire très insolite. On frise le fantastique sans vraiment basculer dedans. C’est le personnage de Lupa qui fait qu’on se tient à la limite entre le réel et le surnaturel. Lupa est une héroïne de légende. Faisant pendant à ce personnage, Rory est lui, au contraire, bien ancré dans la réalité. C’est un homme ordinaire qui a toujours été dominé par les autres et particulièrement par son ex petite amie. Dix ans après son départ il ne s’est toujours pas remis de cette rupture. Depuis il vit retiré de cette société de consommation qu’il ne supporte plus. Dans un premier temps, il voit en Lupa son amour perdu, avant qu’il ne se libère de cette ancienne emprise. Dès lors il sera capable de découvrir la force, la fragilité et la singularité de Lupa. Il va considérer que son devoir est de la protéger et de l’aider.
Ce qui rapproche ces deux personnages c’est leur inaptitude à s’intégrer dans la société. Ce sont des asociaux. Pour Lupa, c’est sa naissance qui l’isole alors que pour Rory ce sont les épreuves de la vie qui l’ont marginalisé. Les deux vont se chercher, se reconnaître, s’attirer. Mais le contexte va compliquer leur relation.
L’auteure est une jeune femme qui a su se mettre dans la peau de son personnage narrateur. L’histoire est racontée du point de vue de Rory. Le style est tout a fait adapté à cet homme à la fois fruste et sensible qu’est Rory, souvent cru, parfois grossier. L’écriture est masculine et si l’on lisait ce livre sans connaître son auteur, on penserait qu’il a été écrit par un homme.
La viande des chiens, le sang des loups est un roman surprenant, par son sujet et par son style. Parfois dur et même violent, parfois poétique. Il peut être perturbant pour certains. Un roman inclassable qui se distingue du tout-venant de la production polardeuse.
Misha Halden est une trentenaire installée en Bourgogne, où elle partage son temps entre l’écriture et sa passion pour l’histoire et les métiers oubliés. Sous son véritable nom, Justine Niogret, elle est l’auteure de plusieurs ouvrages de science-fiction et de fantasy, pour lesquels elle a été primée : Chien du beaume, Mordre le bouclier, Mordred, Cœurs de rouille, Gueule de truie. Elle a choisi d’écrire son premier roman noir sous le pseudonyme de Misha Halden.
Extrait :
— Alors laissez-moi finir. Les Lupa sont des créatures de guerre. Oui, ça fait très romantique, mais après tout il y a des musiciens-nés, des enfants de six ans qui se servent mieux d’un ordinateur que leurs parents réunis. Encore une fois je vois pas ce que ça a de curieux. Nous avons sans doute tous des dons, nous servons tous à quelque chose ; reste que la société, à une époque donnée, a que peu de places à offrir. Si votre don est de tisser la laine aussi fin qu’une araignée, un fil de soie rempli d’art et d’amour, de savoir et de respect, et que vous naissez à l’ère de la polaire et du plastique, que pouvez-vous faire ? Si vous chantez l’opéra comme personne, si vos sinus et votre gorge peuvent moduler les sons les plus purs et les plus beaux qu’on puisse imaginer, et que vous naissez à l’âge des pop-songs ? Et pire, et le véritable problème est là ; si vous naissez chanteur d’opéra mais que l’âge du pop-song a tellement duré qu’il reste plus de partitions d’opéra ? A quoi servez-vous ? A quoi servez-vous au monde, si vos dons, votre logique intérieure sont bafoués par le peu d’espace qu’offre la société de votre époque pour exprimer ce que vous devez faire, et ce que vous pouvez réussir ? Si toute votre chair vous crie que la compassion aide le monde, mais que vous naissez à une époque où on jure aux enfants qu’ils existeront en étant cyniques et en riant du malheur ? Si tout votre être veut la justice mais qu’on vous en offre une tiède, parce que l’époque veut un monde étriqué, une petite chose en carton bouilli, tiède et fade ?