Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2016 (Éditions Cairn)
Genre : Enquête
Personnages principaux : une dizaine de personnages, acteurs ou témoins de la même histoire
Lorsque Pierre-Henri Sennelier se fait abattre d’une balle dans la nuque dans sa résidence secondaire de Bruniquel, c’est l’effervescence dans ce petit village du Tarn-et-Garonne jusque là bien tranquille. D’autant plus que la victime est une personnalité discrète mais célèbre car c’est un des conseillers du président de la République. Le commissaire Lemoine du SRPJ de Toulouse est envoyé sur les lieux pour diriger l’enquête. Des pressions insistantes de sa hiérarchie vont peser sur lui mais les indices sont minces : juste deux mégots de cigarette peut être laissés par l’assassin à l’affût. La police scientifique va les analyser mais cela sera-t-il suffisant pour ouvrir une piste ?
L’intrigue peut paraître simple au départ : une enquête sur un meurtre. Mais l’affaire va se compliquer du fait du statut de la victime, de ses activités et des raisons de son assassinat. Ce qui pourrait ressembler à un cambriolage qui aurait mal tourné va se transformer en une affaire d’escroquerie mondiale.
L’histoire est racontée sous forme de roman choral où une dizaine de personnages donnent alternativement leur vision de l’événement. Ces personnages sont très divers, ils vont de l’assassin lui-même, à la victime, en passant par le policier chargé de l’enquête, la veuve, l’avocate, les témoins, le commanditaire, son homme de main. Chacun livrant sa vérité, totalement différente de celle des autres protagoniste, justifiant parfaitement la phrase d’Éric-Emmanuel Schmitt, mise en exergue du livre : « Qu’est-ce que la vérité ? Il y a la tienne, la mienne et celle de tous les autres. Toute vérité n’est que la vérité de celui qui l’a dite. Il y a autant de vérités que d’individus. » Toutefois ces vérités juxtaposées finissent par donner une vue d’ensemble de l’affaire, à la façon de morceaux de puzzle qui s’emboîtent. Ce n’est que très progressivement que le lecteur découvre les tenants et les aboutissants qui ont mené au meurtre. D’autant plus que le chemin menant à la complète compréhension de l’histoire est semé de fausses pistes. C’est très habilement réalisé, le lecteur est maintenu dans le doute et l’incertitude jusqu’à une clarification finale assez étonnante qui peut laisser un goût amer. À ce sujet on pouvait attendre, d’un auteur qui est commandant de police, une histoire toute à la gloire de la police et de la justice. C’est loin d’être le cas : sans dévoiler les dessous de l’intrigue, on peut affirmer que dans ce roman police et justice se fourvoient allègrement et que les truands s’en sortent bien.
Toutes taxes comprises est un roman intéressant, parfaitement construit, basé sur une fraude qui a bel et bien eu lieu, qualifiée par la cour des Comptes d’escroquerie du siècle. Divertissant et instructif.
Extrait :
Nos enarques et nos polytechniciens, avec leurs homologues européens, avaient enfermé tous les pigeons dans la même volière. Il ne restait plus qu’à les plumer, écosser les petits pois, laisser mijoter à feu doux et attendre patiemment, en humant le fumet délicat de l’oseille, avant de passer à table.
On a monté des sociétés-écrans partout en Europe avec des comptes offshores dans des paradis fiscaux, on a acheté des wagons de quotas hors taxe pour les revendre toutes taxes comprises le jour même sur le marché parisien. On encaissait la TVA sur les ventes, dont le montant était avancé par BlueNext, puis on ne la reversait jamais.
Indolore, sans violence, on avait monté l’escroquerie du siècle. On était des sortes d’Arsène Lupin des temps modernes. Quand ça sentait le roussi, on fermait les établissements pour en ouvrir des nouveaux et ainsi de suite. Avec une facilité déconcertante, on avait écrit la version moderne d’Alice au pays des merveilles et la seule victime dans cette affaire, c’était l’État. Autant dire que je n’ai éprouvé aucun scrupule à ramasser ce blé et à quitter la France.
Ma note : (4,3 / 5)