Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2017 chez Actes Sud
Genres : sociétal, thriller scientifique
Personnages principaux : Álvaro Beltrán, jeune professeur mexicain – Adèle Cara, biologiste française – Parker Hayes, leader du transhumanisme
Prix : Prix Flore 2017
Au Mexique, Álvaro, jeune professeur passionné d’informatique, participe à une manifestation d’étudiants qui tourne au massacre quand des policiers cagoulés mitraillent leur bus. Il y a 43 étudiants abattus à Iguala. Álvaro en réchappe. Dans un état second, il dérive plusieurs jours en direction de la frontière américaine, qu’il passe en prenant beaucoup de risques. Arrivé aux États-Unis, il sollicite un emploi chez Parker Hayes, figure de proue du transhumanisme et créateur du Cube, un lieu de recherche contre le vieillissement. Álvaro finira par se faire embaucher mais pas comme expert informatique comme il le voulait mais comme simple volontaire pour subir des tests. Adèle Cara, brillante biologiste française finit par céder aux offres insistantes de poste que lui propose Parker. Adèle et Álvaro se rencontrent au Cube. Cette rencontre changera leur vie.
Avec le personnage de Parker Hayes nous découvrons les ambitions des transhumanistes dont le but ultime est d’abord de vaincre le vieillissement, ensuite carrément de vaincre la mort. « Nous repousserons la dernière frontière : nous vaincrons la mort ». Ce n’est pas le rêve d’un savant fou. Aujourd’hui les grands acteurs de l’internet, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) participent activement à ce mouvement. Ils disposent pour cela de moyens financiers considérables et de l’agrégation de banques de données colossales, alimentées entre autres par leurs propres réseaux sociaux. Dans le centre d’étude Le Cube, travaillent les chercheurs les plus en pointe dans leur spécialité, comme la biologiste française Adèle Cara qui, bien que salariée chez Parker, ne partage pas ses ambitions démesurées. D’autres, non seulement n’adhèrent pas aux idées de Parker, mais les combattent, comme ces idéalistes d’internet, restés fidèles au concept original : un espace de liberté absolue et de savoir partagé. Réunis autour du vétéran Werner, la fine fleur mondiale des hackers sous la bannière des Anonymous, va mener la guerre pour contrarier les plans de grandeur de Parker et ses alliés. À côté de ces visions opposées se développe une histoire d’amour qui redonne au corps, dont il est beaucoup question, une dimension plus humaine. Le corps physique, naturel, est une merveilleuse machine même sans être amélioré, renouvelé, augmenté.
L’invention des corps est un livre touffu pour lequel plusieurs niveaux de lecture sont possibles : présentation des options d’évolution de l’homme en ce 21ème siècle, thriller scientifique ou cavale à travers le Mexique et les États-Unis. Un peu des trois à la fois.
Extrait :
— Tu as tout pour toi, dit Werner en posant tout à coup sa main sur l’épaule de Parker, tu pourrais faire des grandes choses, et pourtant tu ne fais que de la merde. Je ne me l’explique pas vraiment.
Ils sont assis à la terrasse d’un restaurant italien sur les hauteurs d’Eddy Street, dans le quartier de Fillmore.
— Eh ça va l’ancien combattant ? Je comprends, la partie est passée pour toi, tu l’as perdue, tu t’ennuies.
— Je ne suis pas si sûr d’avoir perdu la partie, Parker. Apparemment, oui. Les gars comme toi dominent le monde, et avec vous le polissage des formes, le contrôle, la domination sociale et politique. Tout ce pour quoi j’ai lutté, cette communauté libre où la pensée se construirait collectivement, où tout serait accessible mais où l’intime demeurerait hors d’atteinte, tout cela est mort. Ce qui a gagné, c’est le bleu pâle de Facebook : un déroulé débectant de dégueulis personnel, de plaintes, de chats faisant du skate, d’opinions imbéciles sur tout et n’importe quoi.
— Je suis entièrement d’accord, Werner. Tu me mets dans un sac dont je ne fais pas partie. Certes, j’ai participé au lancement de Facebook, et j’ai gagné du fric avec ça, mais je ne cautionne pas cet affaissement des choses. Moi je pensais conquête de l’espace, homme bionique, îles flottantes dans les airs, pas les cent quarante signes de Twitter qui font office de pensée.
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)