Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2017 (Idaho)
Date de publication française : 2018 (Gallmeister)
Genre : roman noir
Personnages principaux : Wade, père d’une famille décimée – Ann, sa seconde épouse
Wade, Jenny, June, May. Une famille : le père, la mère, la fille aînée, la fille cadette. Ils sont sur la montagne en train de couper du bois et de le charger à l’arrière du pick-up. L’instant d’après, plus de famille : il y a une fille morte, l’autre disparue, une mère en état second, un père dévasté. L’irréparable vient de se produire en quelques secondes, balayant un bonheur fragile.
Neuf ans plus tard, Wade a refait sa vie avec Ann. Ils habitent la même maison, en plein milieu des montagnes de l’Idaho. Alors que Wade commence à ressentir les premières séquelles d’une maladie dégénérative, Ann est hantée par la tragédie qui s’est produite, particulièrement par Jenny, la mère et par June, la fille disparue.
Dans ce roman étrange l’intrigue n’est pas le plus important. Elle fixe simplement un cadre et des personnages. On aura une petite idée ce qui s’est passé et jamais on ne saura pourquoi cela s’est produit. Tout est suggéré, rien n’est expliqué. Le livre pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. La démarche de l’auteure est de montrer la façon dont chaque personnage réagit face à un drame brutal et imprévisible. Pour cela Emily Ruskovich retrace la vie de Wade et de ses proches, avant et après le drame, sur une période d’un peu plus de 50 ans. Il y a de multiples allers-retours dans le temps. L’ordre du récit n’est pas chronologique : on passe, de façon aléatoire, des années 2000, aux années 1990, aux années 1970 pour finir dans les années 2020. Comme dans un jeu de construction, l’auteure place, une par une, chaque pièce de l’histoire pour en reconstituer la globalité. Habitué aux récits séquentiels, on est un peu déstabilisé mais finalement on s’adapte facilement à cette façon de faire.
L’auteure nous présente successivement les points de vue des différents acteurs, c’est un roman choral. Elle le fait avec une grande sensibilité et avec beaucoup de subtilité. La tragédie qui est survenue, aurait pu engendrer le ressentiment et la haine mais c’est au contraire le pardon et la générosité qui sont les sentiments dominants. La fragilité de la vie et l’extrême minceur de la séparation entre le bonheur et la douleur apparaissent de façon évidente. Bizarrement, dans une atmosphère sombre où plane un souvenir terrible, il se dégage une sorte de calme et de sérénité. Cependant la multitude des thèmes et l’absence de réponses peut amener le lecteur à se demander ce que veut exactement exprimer l’auteure : – La déperdition de la mémoire ? – La fragilité des situations établies ? – La présence et l’absence ? – L’espoir persistant en la vie ? – Tout cela à la fois ?
Idaho est un livre complexe, d’une grande profondeur humaine. Il y a quelque chose d’envoûtant dans la façon d’écrire d’Emily Ruskovich. La belle traduction de Simon Baril permet de l’apprécier.
Extrait :
Dans l’obscurité de la nuit, elle s’est entraînée. Elle a écrit une centaine de paragraphes différents, a mémorisé les meilleures phrases, a tout détruit par crainte que Jenny les découvre. Comment parler de ce qui s’est passé il y a tant d’années, quand elle ne peut pas comprendre, quand, en réalité, elle ne voit pas la nécessité de comprendre ? Cette tâche impossible est son unique opportunité de se servir de ce qu’elle a appris. En expression écrite, en histoire, en poésie, en art. Le formulaire sur lequel elle va concocter ce paragraphe sera l’apogée de tout ça, ses adieux au monde, la seule chose positive de toute sa vie, en incluant sa vie d’avant.
Essayer de parler avec les mots de Jenny de qui elle était alors et de qui elle est maintenant, essayer de plaquer sur ces mystères terribles et desséchés le genre de langage et le genre de résumé qu’une audience de ce type requiert a obligé Elizabeth à considérer, pour la première fois depuis qu’elle est derrière les barreaux, l’acte qu’elle a elle-même autrefois commis. Elle a tué son petit ami. Quand elle a voulu s’enfuir et que son voisin l’a vue, elle l’a tué, lui aussi.
Niveau de satisfaction :
(4,1 / 5)