Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2015 (Pyska husid)
Date de publication française : 2017 (Métailié, Points)
Genres : Enquête, historique (1941)
Personnage principal : Flovent, policier de la Criminelle à Reykjavik – Thorson, soldat canadien affecté à la police militaire américaine
Le polar d’enquête donne souvent l’impression d’être dépassé. Si l’enquêteur n’a pas le génie d’un Holmes ou d’un Poirot, l’histoire risque de se résumer à une suite d’entrevues dont on accumule les informations pour en déduire une solution au problème posé à l’origine. Quelles conditions faut-il réunir pour qu’un polar d’enquête nous séduise ? Indridason relève ici brillamment le défi.
Nous sommes en 1941 à Reykjavik. L’Islande est d’abord occupée par les Britanniques; en 41, les Américains leur succèdent. Ça n’empêche pas les sous-marins allemands de couler les bateaux islandais qui s’acheminent vers l’Amérique.
Dans un modeste appartement, on découvre le cadavre d’un vendeur itinérant, une croix gammée gravée au front. Ce n’est pas ici qu’il habite, en réalité, mais on apprendra bientôt que le logeur est aussi un représentant itinérant, un ancien ami de la victime (ils étaient ensemble à l’école), et le fils d’une riche famille allemande installée depuis longtemps en Islande.
Le seul policier ès-criminalité de la capitale islandaise est le jeune Flovent; comme il n’y a jamais de crime à Reykjavik, les autres policiers sont requis par l’armée. La victime a été tuée par un colt de fabrication américaine; on adjoint donc au policier islandais un jeune soldat canadien (né au Canada de parents islandais), Thorson, qui maîtrise aussi bien l’anglais que l’islandais. Il servira de pont entre la Criminelle et l’armée et s’efforcera, le cas échéant, d’empêcher qu’un scandale ne salisse les forces armées.
Les deux jeunes combinent leurs forces dans une enquête qui sera ardue : la croix gammée dessinée sur le front de la victime est-elle un leurre ? Y a-t-il vraiment une dimension internationale à ce drame ? N’est-ce pas plutôt une vengeance qui a mal tourné ? Ou une tentative plus banale pour se débarrasser d’un conjoint trop accaparant qui ne comprenait pas que tout était fini ?
La reconstitution historique est intéressante. Les personnages sont bien décrits par leurs comportements : le faible Eyvindur, la séduisante Vera, le tenace Flovent aux questions interminables, le vaillant Thorson qui se démène dans la campagne islandaise, l’irascible docteur Lunden qui ne veut rendre de compte à personne, la mystérieuse Brynhildur qui joue un grand rôle, mais lequel ? Nous avons là toute une galerie de personnages qui contribuent à la véracité du récit. En dépit du décalage historique, nous embarquons donc sans difficulté.
Le contexte, choisi et illustré par Indridason, est également intéressant : les Alliés n’ont pas intérêt à ce que l’Islande tombe aux mains des nazis. Ça n’empêche pas les habitants d’être méprisés autant pas les Allemands que par les Américains. Même s’il n’insiste pas, Indridason fait sentir la différence entre la gestion américaine de la guerre et celle des Britanniques. Il donne aussi un bon aperçu de la vie sous l’occupation même d’une nation amie : l’économie n’est pas facile à la campagne et dans plusieurs recoins de la capitale, sauf pour les bars et les dancings où plusieurs jeunes islandaises rêvent au mariage avec un bel étranger, se contentant, en attendant, de cigarettes, d’alcool, et de parties de jambes en l’air.
L’intrigue n’est pas pour autant négligée. La relation entre les deux enquêteurs est efficace et sympathique. La solution se construit comme un puzzle, morceau par morceau. Et quelques rebondissements bien placés stimulent notre intérêt. Une grande scène achève le drame, comme dans un opéra italien et, en épilogue, l’auteur se permet un clin d’œil historique.
Extrait :
Thorson lui semblait maintenant devoir choisir son camp, or il ne supportait pas d’être placé devant ce dilemme et cela lui déplaisait au plus haut point de ne pas pouvoir être entièrement honnête avec Flovent.
– Qu’est-ce qui te gêne à ce point ? s’enquit Flovent, remarquant combien son équipier hésitait. Il y a un problème ? Tes supérieurs se méfient de quelque chose ? Qu’est-ce qu’ils veulent ? Et de quoi tu ne dois pas me parler ?
– Ils veulent prendre cette enquête en main, soupira Thorson. Et ils prévoient le faire rapidement. Ils ne se fient pas à la police islandaise. Ils craignent qu’elle ne fasse pas le travail convenablement. Ils se fient ni à toi, ni à vous, ni aux Islandais en général.
Flovent le dévisagea longuement.
– Ça a un rapport avec cette visite ?
– Non, je ne crois pas. Enfin, je n’y ai pas réfléchi. Ils supposent que l’assassin est un militaire, étant donné l’arme utilisée. D’ailleurs, il n’est pas impossible qu’ils aient ouvert une enquête de leur côté.
– C’est ce qu’ils t’ont dit ?
– Non.
– Merci de m’avoir expliqué tout ça. Après tout, rien ne t’y obligeait.
– Je refuse d’être un … mouchard. Je n’aime pas les petits secrets. Je devais te le dire pour que tout soit clair entre nous.
– Peu de gens feraient preuve d’une telle honnêteté à ta place, reconnut Flovent.
– La manière dont ils se comportent avec vous me déplaît. Et je n’aime pas non plus jouer double jeu…
Niveau de satisfaction :
(4,5 / 5)