Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2018 chez La Manufacture de livres
Genre : Roman noir
Personnages principaux : Micheline dite Roberto et Ouafa, jeunes filles de 15 ans – Oé, garçon bizarre de 11 ans
Dans un village du centre de la France, deux jeunes filles de 15 ans et un garçon de 11 ans, sont liés par un lien étrange basé sur « une commune inadaptation fondamentale et primitive à la société des hommes ». Micheline a été bizarrement surnommée Roberto. L’autre fille c’est Ouafa et le garçon Oé. Dans la forêt voisine, les filles ont construit une cabane-hutte tandis que le garçon s’est fait un nid dans un grand chêne creux. Tout leur univers est menacé par l’extension de l’usine locale et la déforestation qu’elle entraîne. Les enfants installent des dérisoires barrières de fils pour empêcher cela. Ils écrivent des messages adressés aux esprits de la forêt et les accrochent aux branches des arbres. Ouafa et Oé mènent l’inutile résistance, Roberto, elle, a déjà disparue.
Le livre s’ouvre sur une phrase formidable : « Le cadavre disparut la même nuit que les bêtes. ». Une énigme est posée d’entrée. Mais ce n’est pas la résolution de cette énigme qui prime, on n’est pas dans un roman policier, il n’y a pas d’enquête. Par contre ce que l’on ressent tout de suite c’est l’atmosphère. Le décor est celui d’un village du centre de la France, sans charme particulier. Mais les éléments constituant le paysage créent une atmosphère crépusculaire : le lac dans un volcan éteint, le barrage dont l’assec pour travaux d’entretien révèle le village englouti, le viaduc plus en service qui domine toute la vallée et la gare abandonnée.
Dans cet endroit retiré, les personnages à l’image du paysage, sont en souffrance. Le père de Roberto a vu son épouse le quitter quelques jours après la naissance de l’enfant. La mère de Ouafa vit seule avec sa fille qui n’a jamais connu son père. Le grand-père de Roberto vit dans le garage en attendant la mort en compagnie de son chien. Le directeur de l’usine ne s’épanouit qu’au travail tandis que son épouse vit dans la terreur du réveil du volcan et des problèmes causés par le comportement asocial de son fils. Les enfants voient avec désespoir leur environnement détruit. Des personnages secondaires viennent rajouter du piment à l’ensemble tel Fortuna Moureau le vagabond cracheur de feu qui s’installe un moment dans une maison abandonnée avant d’être de nouveau repris par l’appel de la route. Il y a aussi la sorcière qui plante des livres en terre comme des graines.
La violence est contenue mais omniprésente. La violence psychologique. Personne ne cherche vraiment à faire le mal, c’est le rapport entre les personnages et le manque de compréhension qui engendrent une violence souterraine, invisible. Il a y a des scènes terribles : par exemple quand Roberto lave et masse les pieds de son grand-père incestueux, celui-ci déclare alors son amour … à sa chienne ! et ignore complètement Roberto qui devient « ce qu’elle avait toujours été sans vouloir le reconnaître. Un monstre ou pire, du rien. »
L’écriture est précise, fluide et raffinée. Il s’en dégage un mélange de désespoir, de grâce et de poésie. On relève un bon nombre de phrases chocs qui font mouche : « Quand elle était morte il ne s’en était pas rendu compte car elle ne parlait pas beaucoup – Il ne s’occupait pas trop des jeunes, il vivait parmi les vieux et les morts – Certains pleurant, oui, car il n’était pas si commun qu’on meure à quinze ans. » …
Les mauvaises est un roman sombre, mélancolique et beau.
Du même auteur : Recluses et Clouer l’Ouest.
Extrait :
L’année des tragédies, voilà comment on l’appela ensuite, cette année 1988, mais on pensa aussi confusément, sans précisément le formuler, que le petit pays du Centre ne fit qu’expurger ses graines infectées, celles qui, si elles avaient continué de pousser et de prospérer, l’auraient envahi tout entier, précipitant toutes les agonies.
C’était comme si, avec le remplissage du barrage qui venait clore la terrible séquence avec ses morts, ses blessés, ses disparus, le corps même du territoire reprenait les couleurs et la chair saines d’un petit garçon potelé et plein d’avenir, courant à perdre haleine a travers champs ; comme si le cours des choses, l’accroissement, la vie vivante pouvait s’exalter à nouveau.
Niveau de satisfaction :
(4,2 / 5)
Oh oui, c’est beau, Séverine Chevalier parvient à mêler noirceur et lumière avec beaucoup de poésie. Elle a une écriture à la fois lyrique et percutante, osmose pourtant difficile à maîtriser !
Je suis bien d’accord sur la qualité de l’écriture qui me semble ici plus lyrique, comme tu dis, que dans son précédent livre Clouer l’Ouest où elle était plus épurée me semble-t-il. Un beau roman en effet.