Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2014 Éditions Écorce – 2015 La Manufacture de livres
Genre : Roman noir
Personnages principaux : Karl Des Corps, jeune homme endetté de retour dans sa famille – Pierre, dit l’Indien, son frère – leur père Armand Des Corps, dit Doc.
Karl Des Corps a fui l’univers oppressant de sa famille, ce territoire austère qu’il a toujours détesté. Il avait 18 ans. Il imaginait un ailleurs plus excitant : la mer, les bateaux, l’aventure. Il est parti à l’Ouest sans un mot d’explication. 20 ans plus tard, désenchanté et couvert de dettes, il revient. Piteux, il va retrouver tout ce qu’il avait quitté alors. Finalement, il ne lui reste que ça comme espoir de se refaire : sa famille, sur le plateau de Millevaches. Mais il n’est pas accueilli chaleureusement : personne ne se réjouit de ce retour encombrant. Faut dire que ce n’est pas par amour des siens qu’il retrouve une famille ignorée depuis des années. Il a besoin de fric. Son père, ancien médecin en a, beaucoup. S’il sait s’y prendre, son vieux lui avancera l’argent qu’il lui faut pour prendre un autre départ. C’est ce qu’il pense.
L’intrigue est on ne peut plus simple : c’est l’histoire du retour du fils prodigue modifiée. Drôlement modifiée même ! Le père ne lui ouvre pas ses bras et ne lui prépare pas de fête. Ce père n’a qu’une envie : que ce fils parasite dégage. Quant à sa mère qui l’adorait quand il était petit, elle ne le reconnaît pas. Elle pense que c’est un imposteur qui a pris la place du garçon qu’elle chérissait. Seul, Pierre, l’Indien, son frère est disposé à l’aider. Mais il ne peut pas grand chose pour lui, il n’a pas d’argent. Retour difficile dans la famille !
Ce retour au bercail nous permet de découvrir toute une galerie de personnages, les autres membres de la famille. Notamment le père, Armand, le Doc, un homme important et respecté dans la région. Plus jeune, il a été blessé par un sanglier. Depuis il nourrit une obsession pour la chasse au sanglier. Aujourd’hui, il traque un vieux mâle noir, un descendant de celui qui l’a blessé, il imagine. Le Doc, est un homme dur qui cache quelques secrets. Le frère, Pierre, surnommé l’Indien, aime la nature et n’aime pas les gens. Lui aussi traque le même sanglier que son père, le gros mâle noir. Mais lui ne pratique pas la même chasse que ces viandards, avec chiens et fusils. Il est seul, armé d’un arc et des flèches. Il chasse en communion avec l’animal. Odile, la mère, est sous médicaments prescrits par son mari. Elle ne reconnaît pas dans ce type qui est revenu, son fils adoré Karl. C’est un imposteur qui se fait passer pour lui. La petite Angèle est la fille de Karl. À 5 ans elle ne parle pas. C’est peut être pour ça qu’elle s’entend si bien avec son oncle l’Indien qui parle peu. Bien d’autres personnages complètent ce tableau familial.
Le cadre du roman est le plateau de Millevaches enneigé. Le ciel est gris et bas. La forêt proche. Un monde en noir et blanc. Cela crée une ambiance d’isolement, de coupure avec le reste du monde, favorable au dénouement de tous les problèmes latents de cette petite communauté restés enfouis jusque là .
Mais ce qui distingue le plus ce roman, c’est l’écriture. Un style épuré au maximum. Assez surprenant au début, on s’habitue ensuite et enfin on admire la technique de l’auteure. Les phrases crépitent comme du bois sec. L’écriture, sèche et désincarnée, installe une distance entre les personnages et le lecteur. Un style aussi dépouillé que l’intrigue et parfaitement en harmonie avec elle. Belle maîtrise !
Clouer l’Ouest est un roman sombre et fort, dénué de fioritures. Remarquable par sa concision et l’originalité du style d’écriture.
Extrait :
L’Indien : pour maman, y avait que toi. Que tu sois là ou pas. Pas là, c’est peut-être pire. Je suis resté, mais ça compte pas. Maintenant je m’en fous. C’est comme ça,
Karl a dit : t’es resté pour la protéger. Et elle s’en rend pas compte. Mais moi non plus, j’existe pas.
L’Indien a dit : je suis resté pour cette terre, c’est tout, C’est comme mon sang. Mes tripes. Tu peux pas vraiment comprendre. T’as jamais compris.
Karl a dit : je voulais me sauver, c’est ça que je comprends. Toi, t’avais pas besoin. Si on a besoin, on part, si on n’a pas besoin, on part pas.
L’Indien a dit : peut-être que t’es pas vraiment parti. Tu le crois, mais c’est pas vrai. Peut-être que c’est moi qui suis parti, en vrai.
Karl a dit : tu l’as gardée, ma carte ?
L’Indien : il est tard. On dort ?
Karl : oui, on dort.
Le Doc le voit s’engouffrer dans la forêt. Il démarre, et glisse un CD dans le lecteur. Gabriel Fauré, Élégie pour violoncelle et piano, qu’il a dupliqué plusieurs fois pour ne pas avoir sans cesse à appuyer sur des touches et remettre au début. Il va rouler un peu, pour le plaisir de glisser le long des routes, de traverser ce paysage sculpté, vivant, peu à peu recouvert par la neige.
Quelque part dans ses entrailles, une bête énorme, dangereuse et insaisissable se tient embusquée, rien que pour lui.
Gabriel Fauré – Élégie pour violoncelle et piano
Ma note : (4,5 / 5)
Ce roman vient de gagner le prix CALIBRE 47 lors du festival POLAR’ENCONTRE de mars 2016
Merci de me le signaler.
Prix mérité. C’est un roman d’une magnifique noirceur.
J’abonde en ton sens… j’ai moi aussi été épatée par le sens de la concision de l’auteure, qui parvient à faire court, mais riche et intense… une belle découverte.
Une belle découverte en effet. Une auteure prometteuse pleine de talent. J’attends son prochain livre avec curiosité.