Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2018 (Quidam éditeur)
Genres : Thriller géographique, historique
Personnages principaux : Yves Lecherc, garde-chasse – William Metallic, indien mi’gmag
Le 11 juin 1981 dans la péninsule de la Gaspésie, au centre-est du Québec, éclate la guerre du saumon. Les agents de la protection de la faune saisissent les filets de pêche des indiens de la réserve Mi’gmag, avec l’appui des policiers de la Sûreté du Québec, renforcés par la Gendarmerie Royale du Canada, 300 hommes armés en tout. Ils ont ordre de retirer les filets à saumon de la rivière Restigouche. La protection de l’espèce et la non discrimination servent de prétexte fallacieux à la lutte intestine que se livrent les autorités provinciales du Québec et le gouvernement fédéral du Canada. C’est grâce à cette pêche que les indiens gagnent leur vie et peuvent nourrir leurs familles. Il y a des affrontements et des exactions. Une adolescente de 15 ans est violée par des hommes de la Sûreté du Québec. Le garde-chasse Yves Leclerc recueille la jeune fille. Il aura besoin de l’aide de son ami indien William Metallic pour continuer à la protéger contre ceux qui profitent de la situation.
Le livre est construit de façon tout à fait étonnante : l’intrigue principale est découpée en plusieurs chapitres entre lesquels s’insèrent d’autres courts chapitres didactiques qui éclairent sur des sujets historiques ou culturels. L’ensemble donne une vue générale cohérente du pays dans lequel se déroulent les événements relatés. C’est une façon de faire surprenante mais qui se révèle à la fois efficace et agréable. Ainsi nous en apprenons beaucoup sur le saumon, les Indiens, les pièges imaginés pour chasser l’ours ou l’orignal, la chasse à la outarde, le sirop d’érable, les ZEC (Zones d’Exploitation Contrôlées) … Il y a même une recette de cuisine : le Miskwessabo, autrement dit la soupe aux huîtres. On pourrait craindre que le rythme de l’intrigue souffre de ce morcellement, en réalité il lui donne une respiration, tout en imprégnant le roman de l’ambiance bien particulière de cette région de la Gaspésie.
L’auteur fait de nombreuses digressions historiques : sur la naissance du Québec, sur les conquêtes des blancs sur les territoires indiens, sur le référendum de la souveraineté de 1995. Plus que l’histoire du viol de la jeune indienne qui aurait pu se passer n’importe où ailleurs, c’est ce retour sur l’avènement et la culture du Québec qui est original tout comme le saumon taqawan qui revient dans sa rivière natale après des années passées en mer.
Côté politique, Plamondon enfonce le clou sur les contradictions du Québec. Le gouvernement québécois refuse aux Indiens ce qu’il demande pour lui-même au gouvernement canadien : le droit à la culture et à la langue française au Québec à l’intérieur du Canada, alors qu’il refuse le droit à la culture et à la langue mi’gmag à l’intérieur du Québec.
Côté fiction, les personnages créés sont attachants. Le garde-chasse Yves Leclerc est un homme intègre qui n’hésite pas à démissionner, écœuré et ne supportant plus les méthodes des policiers. Il est aussi généreux : il n’hésite pas à secourir et soigner une jeune indienne maltraitée. Son ami indien William, vit seul au fond de la forêt, en dehors de sa communauté. C’est un homme redoutable qu’il vaut mieux avoir pour ami. Il y a d’autres personnages secondaires tout aussi remarquables : – Caroline, une enseignante française – Un drôle d’expert à la Commission des droits à la personne – une apprentie journaliste … Et puis il y a les personnages historiques et bien réels : René Lévesque, Pierre-Elliot Trudeau, entre autres.
Taqawan est un roman magistral mêlant une intrigue prenante et des considérations historiques et politiques fort intéressantes. C’est un livre à la fois divertissant et instructif.
Extrait :
Il a eu le rêve de briser leurs chaînes, de libérer les Indiens des anneaux qu’on leur avait pendus au cou à force de Dieu, de perles de verre, de haches et de fusils. Des lois ont été votées pour qu’ils soient déclarés irresponsables, pupilles de la nation, des enfants.
Puis on leur a accroché les réserves au cou, les quotas de pêche et le mode de vie sédentaire. On a voulu les transformer en agriculteurs mais ça n’a pas marché. Ils n’ont rien voulu savoir. Il faut plus que deux siècles de sédentarité pour effacer dix mille ans de nomadisme. L’homme blanc a voulu imposer à l’Indien en un siècle ce qu’il a mis des millénaires à développer et à intérioriser : agriculture, écriture, villes, dieu unique, gastronomie, astronomie, logique, statistiques, mécanique, physique, transcendance, trinité, roue, machine à vapeur, aimant, périscope, verre, chimie, chirurgie, sextant, transistor, famille nucléaire et tondeuse à gazon. Comment faire comprendre à un Indien la nécessité de tondre l’herbe autour de sa propriété pour que ce soit beau et propre ? Comment imposer cette idée à un cerveau sain si on n’a rien à vendre ? Et pourquoi acheter quand la nature vous fournit tout ce dont vous avez besoin ? On leur a donc accroché au cou l’offre et la demande, le profit, le marché. À Restigouche, le seul bien monnayable étant le saumon, alors on les a obligés à vendre le saumon tout en réglementant son commerce. Un marché contrôlé par le pouvoir. Une variable d’ajustement. Le saumon, celui qu’il suffisait d’attraper pour vivre, ils devaient désormais le vendre pour survivre.
Niveau de satisfaction :
(4,4 / 5)