Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2012 (The Round House)
Date de publication française : 2013 (Albin Michel)
Genres : roman géographique, social
Personnage principal : Antone Bazil Coutts dit Joe, jeune indien de 13 ans
Dans une réserve indienne du Dakota, un père et son fils attendent le retour de la mère qui est à son travail. Comme elle tarde à rentrer, l’inquiétude s’installe devant ce retard inhabituel. Quand la mère arrive, elle est prostrée. Elle a été victime d’un viol. Cet événement va profondément bouleverser la famille. D’autant plus que la justice se trouve dans l’incapacité de faire son œuvre. Joe, le fils de treize ans, va se sentir investi d’une mission devant l’impuissance des autorités.
L’intrigue s’appuie sur les complexités de la loi qui régit les réserves indiennes. Suivant l’endroit où le viol a été commis, il peut s’appliquer trois sortes de lois : la loi tribale, si c’est sur le territoire de la réserve, la loi fédérale prédomine si c’est un terrain privé et enfin si c’est un parc national, c’est la loi de l’état qui est en vigueur. Où l’agression a été commise ? Était-ce une terre tribale ? un terrain privé ? une propriété blanche ? de l’État ? Comme on ne le sait pas, les poursuites judiciaires sont rendues impossibles, on ne sait pas quelle est la loi qui s’applique. Donc impunité du coupable. Joe n’admet pas cette situation. Avec sa bande de copains, il va mener sa propre enquête et trouver le coupable qui d’ailleurs ne se cache pas, se sachant à l’abri. Depuis son agression sa mère ne sort plus de sa chambre et s’enferme dans le silence, son père, bien que juge, est impuissant à faire appliquer la loi. Pour sauver sa famille, Joe va prendre les choses en main et tenter de se substituer à une justice défaillante.
Si la trame du roman tourne autour du viol et de la vengeance, bien d’autres thèmes sont abordés concernant la famille, la religion et les traditions indiennes. L’auteure nous décrit surtout l’existence de Joe : la vie familiale bouleversée, les histoires du grand-père Mooshum, sa fascination pour les seins de sa tante Sonja, les réunions et les expéditions avec ses trois copains, souvent à vélo. Le vélo représente pour eux la liberté et la possibilité d’échapper aux carcans familiaux. Toutes ces digressions nous éloignent momentanément du thème principal qui est la recherche de la justice et donnent au roman un rythme lent. Nous sommes dans un roman social pas dans un thriller trépidant bien qu’il s’agisse de rendre justice et de vengeance.
Les statistiques d’Amesty International, publiées en 2009, montrent qu’une femme indienne sur trois sera violée dans sa vie, et leurs agresseurs sont rarement punis. L’imbroglio judiciaire sur le territoire indien participe à cette impunité. Dans le silence du vent est un livre édifiant sur la façon dont sont traités les amérindiens aux États-Unis. Un bon roman, émouvant et instructif.
Extrait :
Je vais t’illustrer ça, fiston.
Il s’est assis et m’a agité deux fourchettes sous le nez. Puis d’un air tranquille et concentré, il a posé délicatement un gros couteau à découper au sommet du ragoût gelé, et tout autour il s’est mis à empiler une fourchette, une autre fourchette, l’une chevauchant la suivante, il a ajouté une cuillère ici, un couteau à beurre, une louche, une spatule, jusqu’à ce qu’il obtienne un fouillis plus ou moins organisé en une sculpture étrange. Il a apporté les quatre autres couteaux de boucher que ma mère gardait toujours bien tranchants. C’étaient de bons couteaux, tout en acier jusqu’au bout du manche en bois. Puis il s’est rassis, en se frottant le menton.
Voilà, a-t-il dit.
J’ai dû avoir l’air effrayé. J’étais effrayé pour de bon. Son comportement était celui d’un fou.
Voilà quoi, papa ? ai-je demandé d’un ton prudent. Comme on s’adresserait à quelqu’un qui délire.
Il a frotté ses pattes grises et dégarnies.
Voilà la loi indienne.
J’ai hoché la tête et regardé l’édifice de couteaux et de couverts posés au sommet du ragoût affaissé.
O.K., papa.
Il a désigné le bas de la composition et m’a regardé en haussant les sourcils.
Euh, des décisions de justice pourries ?
Niveau de satisfaction :
(4,1 / 5)