Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2018 (Libre Expression)
Genres : Enquête, psychologique
Personnage principal : Rinzen Gyatso, SPVM
Dans le quartier Saint-Michel, à Montréal, à l’entrée du parc Frédéric-Back, une jeune femme est retrouvée, la poitrine rouée de coups, le visage défiguré par une balafre en diagonale, le torse brûlé à la cigarette de manière à former les mots la chica fea, la fille laide. Suite aux coups encaissés, une hémorragie interne a causé la mort. L’enquête commence par l’interrogatoire du jeune mexicain qui a découvert le cadavre.
La sergente Gyatso est elle-même aux prises avec les coups de téléphone d’un meurtrier, Adam Petit, qui semble vouloir la prendre pour confidente, alors qu’il a justement tué son frère, qui était son confident.
Le coéquipier de Gyatso, Luc Paradis, se préoccupe des individus qui ont tabassé son ancien ami de cœur Thomas, est agité par des émotions qui le déchirent et tente de mettre de l’ordre dans sa vie émotive.
Le patron de Gyatso, le lieutenant Desautels, semble au bout du rouleau, ne se préoccupe plus tellement de son travail, subit des pertes de mémoire, croule sous le poids du travail pénible qui l’accapare depuis trop longtemps. Gyatso l’a déjà redémarré après une apparente tentative de suicide et aujourd’hui, sa femme, à qui il a donné à lire une partie de son journal, Le Destin de Rosa Parks, est bouleversée et craint le pire pour lui et pour eux.
Bref, on évoque le besoin d’une thérapie pour plusieurs de ces personnages. Le lecteur les rencontre alors qu’ils semblent tous arrivés à un point de non-retour.
On l’aura compris : nous évoluons plus ici dans un roman psychologique que dans un polar proprement dit. On finit, bien sûr, par remonter la pente jusqu’au cartel de Ciudad Juarez, parce qu’un personnage se met à table. On peut parier que Luc sera probablement séduit, pour un temps, par la beauté intérieure de Thomas, qui a été défiguré lui aussi. Desautels consulte un psy et sa femme croit qu’ils pourront recommencer sinon à zéro, du moins sur des bases plus transparentes. Et, quand tout semble aller pour le mieux, Gyatso s’aperçoit qu’elle est loin d’avoir tout réglé.
L’auteur fait beaucoup pour nous embarquer : elle multiplie les problèmes, elle décrit des comportements et des sentiments toujours excessifs, et elle met en scène des femmes fortes et des hommes fragiles. La thématique n’est pas originale, la sergente Gyatso n’est pas géniale, l’enquête n’est pas brillante et ne se caractérise pas par des rebondissements surprenants. Là n’est pas l’intérêt de l’auteure. C’est plutôt de nous présenter des hommes et des femmes, à un tournant de leur vie, qui affrontent des problèmes difficiles que tous et toutes peuvent partager (épuisement professionnel, angoisses face à l’avenir, remises en question sentimentales). L’amateur de roman policier traditionnel obtient satisfaction quand justice est rendue. Dans ce roman-ci, le lecteur retiendra plutôt que « Tout bonheur en ce monde vient de l’ouverture aux autres ; toute souffrance vient de l’enfermement en soi-même » (Bouddha).
Extrait :
Quand Desautels émergea du labyrinthe de ses pensées, près de deux heures s’étaient écoulées sans qu’il s’en rende compte et il était incapable de se souvenir pourquoi il se trouvait encore une fois assis sur un banc près du fleuve. Il regarda autour de lui. Il était à dix minutes à pied de chez lui. Que faisait-il à Crawford Park en plein après-midi ? Il aurait dû se trouver à son bureau du centre-ville. La fréquence de ces absences et leur durée augmentaient. Son regard restait accroché à un objet, une ligne d’horizon, une tache sur le tapis et il disparaissait dans son musée d’horreur intérieur.
Desautels n’avait pas baissé les bras aux premiers signes de ce mal qui reprenait tranquillement possession de sa personne. Il avait lutté. Il s’était forcé à être optimiste. Il se disait que ça passerait, comme la première fois. Il avait surveillé son alimentation, fait de l’exercice, s’était contraint à socialiser, mais rien de cela n’avait eu d’effet sur lui. Au contraire. Plus il participait au monde, plus il en devenait le spectateur. C’était comme si son corps s’était progressivement détaché de lui. L’enveloppe qu’il habitait continuait de répéter les gestes attendus, s’efforçait d’énoncer les phrases requises, mais lui, le collectionneur d’horreurs, vivait presque continuellement dans son musée de la déchéance humaine, là où l’espoir mourait.
Niveau de satisfaction :
(3,5 / 5)