Je tue les enfants français dans les jardins – Marie Neuser

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2011 (Éditions L’Écailler)
Genre : Roman noir
Personnage principal : Lisa Genovesi, professeur d’italien dans un collège difficile

« N’essayez même pas de faire cours, mademoiselle. Sauvez votre peau. » C’est ce que dit l’inspecteur d’académie à Lisa Genovesi. Lisa a 28 ans, elle est professeur d’italien dans un collège difficile de Marseille. Elle ne vit réellement que deux jours par semaine : le samedi et le dimanche. Les autres jours elle doit subir les injures, les menaces de ses élèves. En bon petit soldat de l’Éducation Nationale, elle fait face, cache sa peur et son angoisse, essaie quand même de faire cours. Ainsi se déroule son année scolaire, dans l’indifférence des collègues, de la hiérarchie et des parents, jusqu’à ce qu’un des meneurs de la petite horde que forment ses élèves aille un peu trop loin dans ses manœuvres d’intimidation. Alors, pour se protéger elle et sa famille, elle va réagir, de façon toute aussi inattendue que radicale.

Y-a-t’il encore des gens qui pensent que les enseignants sont des privilégiés ? Si c’est le cas il faut qu’ils lisent ce roman. L’auteure leur fera partager le quotidien d’un professeur de collège. Et c’est assez terrible ! D’autant plus que le professeur est une jeune femme fragile et jeune, que ses élèves ont 15 ans, que des garçons rivalisent pour s’imposer à ses dépends en tant que chef de meute, que des filles les excitent en portant des tenues plus que légères. Affirmer qu’ils n’ont aucun respect pour elle est peu dire : les insultes et les menaces sont courantes. Une seule de ses élèves suit ses cours avec intérêt et application, elle est d’origine étrangère, elle porte un voile. Mais si au moins elle pouvait compter sur le soutien du directeur ou même de ses collègues, s’il y avait un tant soit peu de solidarité entre membres de l’institution, ce serait un peu réconfortant. Mais non, le directeur reste planqué dans son bureau, laissant les profs aller seuls au combat tels des petits gladiateurs. Pire il considère que c’est Lisa qui crée dès problèmes en étant incapable de faire respecter la discipline. Ce genre d’attitude annonçait, dès 2011, le mouvement qui a agité récemment l’Éducation Nationale : sous le mot clé #Pasdevagues les enseignants ont dénoncé les violences dont ils sont victimes et la passivité de leur hiérarchie. Les collègues ont leur propres problèmes à régler pour ne pas avoir à s’occuper de ceux des autres. Quant aux parents, démissionnaires et incapables de se faire obéir par leurs enfants, que peut-on leur demander ?

Lisa est d’autant plus dépitée qu’elle est entrée dans ce métier suivant les traces d’un père lui-même instituteur, mais à une autre époque. Une époque où il allait au travail joyeux et serein, où les marques de respect et même d’affection de la part des élèves étaient nombreuses. Le métier était alors épanouissant, l’enseignant était considéré comme un notable. C’était un autre monde qui a disparu. Aujourd’hui Lisa exerce sous les crachats et les injures. Elle part au travail comme on va à la guerre. Seule face à ses élèves et à ses difficultés. Elle va trouver, seule, la façon de les régler. Façon qui n’est pas enseignée dans les manuels de formation des enseignants, mais sacrément efficace !

Le long titre donne une mauvaise idée de l’œuvre. Ici il n’est pas question de tueur en série opérant dans des jardins d’enfants. Il est tiré d’un fait divers anecdotique datant du début du XXe siècle. Ne vous laissez donc pas abuser ou repousser par ce titre alambiqué.

Faire du récit des malheurs d’une prof d’aujourd’hui un polar tendu et puissant est une performance. C’est que qu’a parfaitement réussi Marie Neuser dans ce livre court mais percutant. Il y a de la tension, du suspense, de la noirceur, ingrédients d’un excellent roman noir. Belle écriture incisive aussi. L’auteure sait de quoi elle parle puisqu’elle est enseignante à Marseille et que certaines scènes du roman sont si réalistes qu’elles doivent être tirées de son propre vécu.

Extrait :
Je suis charmante et souriante, ma voix est posée ; je ne pense pas que je serai agressive ce soir, je n’en ai absolument pas la force. Les mots du type me font l’effet de notes dissonantes à mon oreille, d’un léger mistral de conneries banales contre lesquelles il est inutile de mener croisade. Je parie en mon for intérieur que, dans cinq minutes, il va me sortir le doux refrain des vacances. Et paf, ça ne rate pas : de toute façon ils se plaignent de quoi les profs, avec leurs quatre mois de vacances ? Ils se plaignent tout simplement d’être constamment en danger – je réponds au beau monsieur –, de partir travailler le matin avec la peur au ventre, de se faire cracher à la gueule toute la journée, de devoir tenter de maîtriser par groupes de trente des gamins que les parents ne parviennent même pas à faire obéir individuellement, de se faire insulter et menacer chaque jour, et de rentrer à la maison avec des tonnes de travail qui ne leur permettent même pas de se reposer le week-end, quand ce n’est pas avec des points de suture. Et tout en parlant, je lui montre, en soulevant un peu ma frange, la vilaine estafilade rose qui m’enlaidit. Puis je dis au type, enfin, cette phrase que je rêve d’articuler depuis si longtemps : Venez cher monsieur, venez me remplacer ne serait-ce qu’une heure – encore faut-il que vous ayez quelque chose à enseigner –, venez supporter un tout petit moment des choses que jamais, jamais vous n’accepteriez d’affronter dans la vie courante, venez un jour prendre un bain dans la merde de l’humanité, loin des gentils salamalecs feutrés des bureaux de commerce, et ensuite nous pourrons reparler ensemble du problème des vacances.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

 

 

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