Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2017
(Twenty One Days)
Date de publication française : 2018
(10/18, Poche)
Traduction : Florence Bertrand
Genres : Enquête, procès
Personnage principal : Daniel Pitt (fils de Thomas), avocat
Le dernier Perry dans la série des Pitt, Un traître à Kensington Palace, m’avait un peu lassé, d’autant plus que Vespasia et Narraway étaient en voyage de noces. Le suspense et le rythme rendaient captivantes les cent dernières pages. Mais la récurrence du décor et des personnages ménageait peu de surprises.
Les auteurs aussi ont besoin de changement, et c’est pourquoi Perry a créé, il y a quelques années, la série des Monk, dont les intrigues précèdent d’une génération celle des Pitt. Cette fois-ci, cependant, on est toujours dans la série des Pitt, mais un certain temps s’est écoulé : Narraway et tante Vespasia sont décédés, la fille de Thomas Pitt et de Charlotte, Jemima, vit maintenant aux États-Unis, mariée et mère de deux petites filles. Et leur fils Daniel, âgé de 25 ans, commence sa carrière d’avocat après avoir réussi à Cambridge. C’est principalement autour de lui que se déroule l’histoire de l’Innocent à l’Old Bailey.
En guise de prologue, Daniel doit défendre, à la demande de son père, Roman Blackwell, un personnage ambigu que tout accuse du meurtre de John Hinton. Ce procès est à peine terminé, après avoir servi à montrer l’acharnement et l’ingéniosité de Daniel, malgré son peu d’expérience, que son grand patron, Marcus fford Croft, le contraint à seconder maître Kitteridge, qui s’efforce de défendre l’antipathique Russell Graves, accusé du meurtre de son épouse. Hautain, orgueilleux et violent, Graves n’a rien qui plaide en sa faveur; il est d’ailleurs condamné à mort.
Kitteridge et Pitt ont 21 jours pour trouver un argument ou une nouvelle piste qui justifierait un appel. Pendant que le premier reverra les minutes du procès pour tenter de trouver un vice de forme, Daniel enquête auprès de l’entourage de Graves pour découvrir qui aurait eu intérêt à se débarrasser de l’épouse de Graves, Ebony. Le temps qu’il interroge le majordome et les domestiques de la demeure des Graves, on se croirait dans Downton Abbey. C’est plaisant, mais on s’ennuie un peu des enquêtes de Thomas Pitt, le père et le vrai Pitt.
Et puis, une nouvelle dimension donne du piquant à l’intrigue. Daniel tombe sur le manuscrit d’un livre que préparait Graves, qui se complaît à diffamer par des insinuations douteuses et des associations gratuites plusieurs personnages en vue de la société londonienne, dont Narraway et tante Vespasia, et surtout Thomas Pitt et la Special Branch dont il est toujours le chef, après avoir succédé à Narraway. Évidemment, un intéressant motif vient de surgir (on aurait pu tuer Ebony pour faire accuser Graves et discréditer d’avance les affirmations de son livre), sauf que Thomas et la Special Branch deviennent alors les principaux suspects.
L’analyse psychologique de Daniel aux prises avec lui-même et des relations entre Daniel et Thomas, dans laquelle excelle Anne Perry, ajoute des ingrédients non négligeables à l’enquête déjà engagée et complexe. Et là, il devient difficile de lâcher le livre.
Au début, j’ai craint de trouver ça long. À la fin, j’étais déçu que ça soit déjà terminé. Décidément, comme Le Carré et comme PD James, Perry ne vieillit pas : l’essentiel persiste dans le changement. Elle nous captive par la complexité de l’enquête, le caractère mystérieux du crime (parce que, enfin, quel intérêt à brûler le visage de la morte ?) commis dans un contexte qui est presque celui de la chambre close, et surtout la vérité des personnages et du jeu des relations interpersonnelles. Enfin, son goût aussi du paradoxe : au fond, tout le monde voudrait qu’on élimine Graves : ses enfants, sa maisonnée (les domestiques témoignent des violences dont l’épouse et les enfants de Graves étaient victimes), les membres du jury, et Daniel lui-même puisque l’enquête lui a montré la personnalité monstrueuse de Graves, particulièrement eu égard à son père et aux grands amis de la famille. Mais son devoir est de le défendre, de faire en sorte qu’on lui sauve la vie. Et, problème sans doute secondaire mais non négligeable : comment empêcher ce foutu manuscrit d’être publié ?
Bref, encore un bon coup d’Anne Perry.
Extrait :
Daniel avait une compréhension toute neuve du fardeau que son père portait, et des raisons pour lesquelles il devait parfois prendre de mauvaises décisions : d’autres décisions eussent été plus terribles encore. Mieux valait qu’elles fusent entre ses mains plutôt qu’entre celles d’un homme ivre de pouvoir. Un instant, il eut la gorge nouée.
Pitt rompit le silence :
– Tu dois le sauver s’il est innocent, mais tu le sais déjà, dit-il doucement. Il ne t’appartient pas de renier la justice. Si tu le fais, tu le regretteras jusqu’à la fin de tes jours. Si ignoble que soit cet homme, tu te perdras toi-même si tu le laisses être exécuté. En un sens, il aura triomphé…
– Je ne vais pas me conduire ainsi ! Si je peux l’empêcher, je le ferai. Vous ne me croyez pas capable de faire cela, si ?
– Non. Mais j’ai commis des erreurs, rien ne justifie que tu commettes les mêmes.
Daniel esquissa un sourire, désireux de mettre fin à la tension qui devenait insupportable.
– Ne vous inquiétez pas, j’en commettrai d’autres.
Pitt sourit à son tour. Il y avait de l’anxiété, et une immense tendresse dans ce sourire.
Niveau de satisfaction :
(4,3 / 5)