Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2019 (Druide)
Genre : Enquête
Personnage principal : Maud Graham, police de Québec
Chrystine Brouillet est l’auteure québécoise la plus prolifique dans le domaine des polars, il n’est donc pas surprenant qu’elle soit l’écrivaine que j’ai le plus commentée; en général, pour en dire du bien.
Dans son Ombre est un roman à deux temps : d’une part, le beau Sacha Walters, qui attire aussi bien les femmes que les hommes, après s’être expatrié à Toronto, s’est volatilisé. D’autre part, dans la ville de Québec, un climat de tension domine la famille de Martin Chevrette, ministre au provincial : sa femme, Laure Genest, s’efforce de tout gérer mais est incapable de négocier avec les jumelles Alizée et Lili-Rose. Alizée fuguera à quelques reprises et on finira par la retrouver morte, assassinée, déguisée en suicide. Maud Graham et ses collègues enquêtent directement sur ce cas. L’enquête sur la disparition de Sacha et celle sur le meurtre d’Alizée se recouperont quand les policiers apprendront que le ministre Chevrette et Sacha entretenaient une liaison dangereuse.
À première vue, et comme c’est souvent le cas avec Brouillet, on a l’impression de lire un roman psychologique, ce genre de romans plutôt artificiels où l’intrigue est secondaire et l’enquête truffée de beaux hasards. Pas chez Brouillet : c’est vrai que la dimension psychologique est importante, mais ce qui intéresse surtout notre auteure c’est l’analyse des relations interpersonnelles des principaux personnages, l’effet des événements sur leur caractère et dispositions, dont on peut presque prévoir l’avenir. La description de Laure Genest est fine et exhaustive, depuis le début de son congé de maternité jusqu’au choc de l’adolescence de ses filles, où les belles apparences sont de plus en plus difficiles à maintenir. Il ne s’agit pas seulement de doter les personnages d’une épaisseur consistante, mais d’intégrer les relations interpersonnelles au cœur de l’intrigue. Les techniques policières proprement dites deviennent ainsi moins arides. Et les liens d’amitié entre les enquêteurs facilitent le travail en commun plutôt que de l’en détourner.
Brouillet se penche sur la réalité de la vie et de la famille bourgeoises, un peu comme le fait Chabrol dans ses films; et là où Chabrol opposait les belles images du décor aux laideurs des sentiments cachés, Brouillet oppose la solidarité des liens d’amitié de son équipe aux passions tristes et solitaires de ses assassins.
Extrait :
Sa fille était morte.
Et elle ne ressentait rien. Alors qu’elle aurait dû éprouver un grand soulagement. Pourquoi ne ressentait-elle jamais rien ? Il lui semblait qu’elle n’avait plus rien éprouvé depuis des années. Dix ans, douze ans ? Depuis qu’elle avait compris que la complicité des jumelles l’excluait de leur intimité. Elle secoua la tête, faillit dévisser la bouteille de VSOP pour boire une gorgée, se raisonna. Ce n’était pas le moment de s’abandonner à ses états d’âme. Elle devait conserver son sang froid.
Niveau de satisfaction :
(4,3 / 5)