Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2019
(Será larga la noche)
Date de publication française : 2019 – Metailié
Traduction : François Gaudry
Genres : Enquête, roman noir
Personnages principaux : Julieta Lezama, journaliste d’investigation – Johana Triviño, ancienne des FARC et assistante de Julieta – Edilson Jutsiñamuy, procureur à Bogotá
En Colombie, dans la région d’Inzá, un convoi de trois 4×4 est attaqué à l’arme lourde. Dans les 4×4, il y a des hommes expérimentés dans le maniement des armes, ils ripostent. La bataille s’engage à coups de fusils mitrailleurs et de bazooka, il y a des morts. Un hélicoptère vient à la rescousse des assaillis. Il évacue rapidement un homme en noir et deux femmes qui voyageaient à bord d’un Hummer aux vitres teintés. Le lendemain il ne reste aucune trace de cette scène de guerre : le terrain a été nettoyé. Mais il y avait un témoin : un gamin a tout vu. Son témoignage arrive chez le procureur Edilson Jutsiñamuy qui prend l’affaire au sérieux alors que dans la police on ignore complètement l’événement. C’est ce qui interpelle le procureur. Il fait alors appel à Julieta Lezama, journaliste d’investigation, pour éclaircir cette étrange affaire. Celle-ci se rend sur les lieux accompagnée de son assistante Johana Triviño. C’est le début d’une longue enquête.
L’intrigue est dense et parfois un peu trop touffue. Elle nous fait voyager de la Colombie, au Brésil et jusqu’en Guyane française. L’auteur nous montre l’influence des églises évangéliques. Elles sont nombreuses, riches et puissantes. Elles correspondent au besoin pour des populations pauvres de croire en un avenir meilleur. Leurs pasteurs sont vénérés. Ils font de grands shows, avec lumières et effets spéciaux. Le côté surhumain qui s’en dégage accroit encore leur influence. À travers le portrait de deux pasteurs influents et rivaux, Gamboa décortique le fonctionnement de ces églises. Il ne se contente pas d’en faire une critique sèche et négative, il montre comment des hommes exceptionnels, partis de rien, sont arrivés à se construire une sorte d’empire. Le côté séducteur et charismatique de ces drôles de pasteurs est intelligemment mis en lumière. Leur côté sombre et manipulateur aussi.
Les personnages principaux sont des enquêteurs parfaitement complémentaires. Julieta Lezama est une journaliste d’investigation, indépendante et aguerrie qui vend ses reportages à des médias internationaux. Elle est en instance de divorce et mère de deux adolescents. C’est une femme d’origine bourgeoise, libérée, qui a besoin de temps à autre de décompresser dans les bras d’un mec vigoureux et encore plus souvent de se calmer les nerfs avec des boissons alcoolisées qu’elle consomme sans modération. Elle est tenace et déterminée. Elle a une assistante multifonction, Johana Triviño, efficace dans l’organisation mais qui en plus possède une qualité que l’on trouve rarement chez les secrétaires : elle sait manier tous types d’armes. C’est une ancienne des FARC. Le procureur Edilson Jutsiñamuy est d’origine indienne, la cinquantaine, il n’a pas de vie familiale, passe la quasi totalité de son temps dans son bureau et se consacre entièrement à l’exercice de la justice. Tous les trois vont mener une enquête hors normes.
L’intérêt de ce roman est l’enquête, bien sûr, mais aussi la description de la société colombienne post guerre civile. Les tensions politiques persistent, les enlèvements sont fréquents, la violence durable. Nous en apprenons également beaucoup sur la cuisine et les boissons locales. Belles descriptions également des paysages et des villes.
Santiago Gamboa signe ici un bon roman nous éclairant sur les arcanes des églises évangéliques tout en faisant preuve d’un réalisme social tout à fait remarquable. Le tout avec un zeste d’humour qui atténue l’amertume du récit.
Extrait :
Pour Julieta, les Églises évangéliques étaient les nouveaux cartels mafieux, pourvoyeurs d’une drogue encore plus dure, car immatérielle et vendue au grand jour, autorisée par la Constitution. Une drogue qui provoque une addiction immédiate chez les individus les plus fragiles, ceux qui ont le plus besoin de soulagement, et, sans en être coupables, qui sont profondément ignorants. Tous viennent chercher ponctuellement leur dose : les plus tourmentés, chaque jour : les autres, le samedi et le dimanche. Ils en ont besoin pour vivre.
Niveau de satisfaction :
(4,2 / 5)
J’avais beaucoup aimé « Retourner dans l’obscure vallée » de cet auteur, et j’ai dans ma PAL « Nécropolis 1209 ». Ce ne sont pas des polars et sans doute continuerai-je ma découverte de Gamboa avec ce titre, qui me tentait déjà.
Pour moi c’est le premier roman de cet auteur que je lis. Il me semble en lisant ta chronique sur Retourner dans l’obscure vallée qu’il se concentre cette fois sur un seul sujet, les églises évangéliques, alors que dans Retourner dans l’obscure vallée il part dans de multiples directions. Avec ce livre j’ai découvert un auteur très riche (littérairement), capable d’aborder de multiples sujets sans jamais être rébarbatif. Je vais m’intéresser à ses autres œuvres.