Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2016 (Hag-Seed)
Date de publication française : 2019 – Robert Laffont
Traduction : Michèle Albaret-Maatsch
Genres : Aventures, littérature blanche
Personnage principal : Félix Phillips, metteur en scène de théâtre
Félix Phillips était directeur artistique d’un théâtre qui remportait un grand succès lors de son festival annuel. C’était un metteur en scène avant-gardiste qui non seulement surprenait mais parfois choquait et indisposait une partie des spectateurs et des administrateurs du théâtre par son audace. Tony, son homme à tout faire, l’a trahi et a réussi à le faire licencier pour prendre sa place. Félix s’est alors retiré de ce milieu devenu hostile. Il s’est réfugié dans une ferme abandonnée où il s’est installé et s’est fait oublier, mais il rumine toujours une vengeance. Maintenant pour survivre il doit travailler. Il trouve un job au pénitencier de Fletcher : professeur responsable d’un programme intitulé Alphabétisation par la littérature. Sous une autre identité il obtient d’excellents résultats en initiant les détenus au théâtre. Douze ans passent ainsi. Cette dernière année il décide de monter la Tempête de Shakespeare. Les événements vont tourner en sa faveur quand ses ennemis qui l’ont destitué vont venir visiter le pénitencier. Il y voit l’occasion d’assouvir sa vengeance.
L’auteure nous parle beaucoup de création artistique et du pouvoir de l’imagination. Félix qui avait autrefois beaucoup de ressources pour monter ses représentations doit maintenant bricoler avec les moyens du bord et ils ne sont pas grands à l’intérieur d’un pénitencier. Mais avec de l’imagination et de la débrouillardise, il arrive à un bon résultat. Il y a aussi un effet rédemption par la culture pour les détenus. Chacun participe activement, propose même parfois des améliorations et ainsi se sent valorisé. Le directeur du pénitencier peut s’enorgueillir d’un programme original dont on commence à parler à l’extérieur. Il attire même l’attention des politiques. Ce qui fera l’affaire de Félix.
Dans ce roman il y a une œuvre dans l’œuvre. En effet l’intrigue nous montre un metteur en scène trahi et déchu qui se refait une carrière bien plus modeste dans une prison. Là il monte avec les prisonniers la pièce de théâtre de Shakespeare la Tempête. Atwood raconte autant l’histoire de Félix qu’elle décortique l’œuvre de Shakespeare. Les personnages ont chacun deux emplois : celui du roman et le rôle qu’il joue dans la pièce. Ce qui fait un nombre considérable de personnages qu’il est difficile d’appréhender sans trop se mélanger les crayons, d’autant plus si on ne connaît pas au préalable l’œuvre de Shakespeare.
On pardonnera à l’auteure un manque de vraisemblance : comment croire que toute cette organisation avec micros, ordinateur, écrans a pu se mettre en place en douce dans une prison sans éveiller les soupçons ? En tant qu’amateur de polars je trouve surtout que la partie vengeance manque singulièrement de tension et de suspense. Ça ressemble plus à une farce d’étudiant qu’à un châtiment longuement mûri. L’ambiance est plus comique que tragique. Dans le domaine des regrets : la dernière partie m’a semblé trop verbeuse avec un côté scolaire un peu rébarbatif.
Peut être que mon goût pour la littérature noire m’a empêché d’apprécier totalement ce roman qui a incontestablement des qualités mais qui manque à mon avis de rythme et de tension pour une histoire de vengeance, qui est en fait un thème secondaire. C’est le théâtre et particulièrement la Tempête de Shakespeare qui sont les sujets principaux. C’est aussi un hommage au grand dramaturge anglais.
Graine de sorcière est un livre poétique et érudit.
Extrait :
Il avait besoin de se concentrer sur quelque chose, de se trouver un but. Il y réfléchit beaucoup du fond de sa chaise longue. Il finit par arriver à la conclusion qu’il lui restait deux choses – deux projets encore susceptibles de lui apporter une certaine satisfaction. Au bout d’un moment, il commença à les voir plus clairement.
Premièrement, il avait besoin de récupérer sa Tempête. Il fallait qu’il la monte, d’une façon ou d’une autre, dans un endroit ou un autre. Ses motifs dépassaient le cadre du théâtre ; ils n’avaient aucun lien avec sa réputation, sa carrière – rien de tel. Tout simplement, Miranda devait être libérée de son cercueil de verre ; il fallait lui donner vie. Mais comment s’y prendre, où dénicher les comédiens ? Ça ne se trouvait pas sous le sabot d’un cheval, et en plus il n’y avait pas tellement de chevaux autour de sa bicoque.
Deuxièmement, il voulait se venger. Il en crevait d’envie. Il en rêvait du matin au soir. Il était impératif que Tony et Sal souffrent. S’il était dans cette situation dramatique, c’était leur faute, ou pour beaucoup. Ils l’avaient traité de manière sordide. Mais quelle forme cette vengeance pouvait-elle prendre ?
C’étaient les deux choses qu’il voulait. Et ce désir s’aiguisait de jour en jour. Seulement, il ne savait pas comment parvenir à ses fins.
Niveau de satisfaction :
(3,5 / 5)