La Rage – Zygmunt Miloszewski

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2014 (Gniew)
Date de publication française : 2016 (Fleuve noir)
Traduction : Kamil Barbarski
Genres : Enquête, thriller
Personnages principaux : Teodore Szacki, procureur 1

Né en 76 à Varsovie, Miloszewski est un auteur talentueux de la jeune génération polonaise. Journaliste et chroniqueur judiciaire, il publie depuis 2004 des nouvelles et des romans, dont la trilogie qui nous présente les enquêtes du procureur Teodore Szacki. L’action de La Rage se passe à Olsztyn, une petite ville dans le bout de Gdansk. Novembre et décembre 2013 : le temps est toujours moche à cette période de l’année, très gris, pluie verglaçante, impitoyable humidité. Les gens sont de mauvaise humeur; c’est vrai aussi pour le procureur, qualifié de courroucé en permanence par sa fille.

Son humeur ne s’améliore pas quand il doit enquêter sur l’identité d’un squelette découvert dans une sorte d’ancien bunker au centre-ville; et surtout quand on finit par s’apercevoir que ce squelette est constitué de plusieurs parties de corps différents. L’enquête met à contribution son adjoint, l’intraitable Edmund Falk, le policier Jan Pawel Bierut, le légiste Ludwig Frankenstein (sic), la psychiatre devenue généraliste Teresa Zemsta, et quelques autres. L’auteur s’attarde à décrire ses principaux personnages longuement et avec humour, alors que le procureur Szacki les fréquente avec impatience ou, au mieux, indifférence.

Puis, suite à une négligence de Szacki, une femme est victime de violence conjugale et en meurt. Le mari se livre à la police mais n’explique rien, victime lui-même d’une blessure qui l’empêche de parler. On en vient à penser à un justicier; mais comment lier cette idée au fait que la fille même du procureur disparaît, probablement kidnappée ? Isolé dans ses réflexions, démuni dans ses actions, Szacki croit tout comprendre et pouvoir tout régler. Il fonce tête la première et finira peut-être par se la cogner.

On comprend pourquoi Le Monde a classé ce roman comme le meilleur onzième polar publié en 2016. Plusieurs atouts justifient ce choix : à travers les yeux du procureur Szacki, cette région de la Pologne révèle une certaine beauté, mais surtout la dureté de son climat et la grisaille de la ville où subsistent quelques bâtiments germaniques plus ou moins désaffectés. Et, même si le procureur n’est pas très sympathique, il pourrait bien être français ou québécois par ses références culturelles qui nous sont familières : le nom de Frankenstein, bien sûr, la référence à Jack Nicholson, l’allusion à Sherlock Holmes, les McDo, les IKEA, et le temps des Fêtes où essaient de se faire belles les rues et les maisons… Bref, on se sent ailleurs et chez soi à la fois.

Par ailleurs, au centre du récit, le problème des violences conjugales est abordé avec subtilité : comment un homme très comme nous autres, actif et sympathique, devient un batteur et même un tueur de femmes; sans aller jusqu’à en faire un caractère génétique des hommes, l’auteur nous montre clairement la rage plus ou moins contenue chez plusieurs hommes, même chez son procureur.

Ce n’est pourtant pas un roman à thèse. C’est un vrai roman qui nous touche profondément parce que l’auteur parvient à atteindre l’universel à travers la singularité de l’histoire qu’il nous raconte.

Un conseil au lecteur : La Rage est le troisième et dernier roman de la trilogie qui met en scène le procureur Szacki. Miloszewski a d’abord publié Les Impliqués (traduit chez Mirobole en 2013, chez Pocket en 2015 – Chroniqué sur ce blog) et Un fond de vérité (Mirobole 2015, Pocket 2016). Tâchez de lire les deux premiers avant le troisième, qui est explicitement le dernier de la trilogie, et même, explicitement, son dernier polar. Même si chaque roman a son autonomie relative, ça ne doit pas être facile de lire les deux premiers après le troisième.

1 En Pologne, le procureur mène l’enquête un peu comme le fait en France le juge d’instruction.

Extrait :
18 heures.
Il entra dans la maison, accrocha son manteau et, malheureusement, ses narines ne furent pas envahies par l’odeur d’un repas chaud. Szacki alla à la cuisine et prit une brique de jus de tomate au frigo. Il la secoua. Elle était pleine ou presque pleine. Bordel, il ne se souvenait plus s’il l’avait ouverte ou non.
Il posa un verre sur le plan de travail et ôta le bouchon; une moisissure duveteuse et blanche fleurissait en dessous. Donc il l’avait déjà ouverte.
Il vida le jus dans l’évier, se versa un verre d’eau et s’assit à la table.
Et il ressentit la faim; ce ne fut qu’à ce moment-là qu’il comprit réellement qu’il ne percevait pas cette odeur de repas chaud. Vacciné par les événements de la semaine précédente, il ne se mit pas à hurler, mais vérifia s’il n’avait pas reçu d’abord un SMS de sa fille. Ensuite, il appela Zenia. Il apprit que la gamine ne s’était pas tournée vers elle, qu’elle ne s’était pas justifiée de n’avoir rien préparé, n’avait pas demandé pardon. Rien.
C’était peut-être mieux ainsi, cette fois elle n’échapperait pas à la poigne de la justice courroucée.

Olsztyn

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

 

 

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