Le manoir d’Alderney – Anne Perry

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2018
(Triple Jeopardy)

Date de publication française : 2019 (10/18)
Traduction : Florence Bertrand
Genres : Enquête, procès
Personnage principal : Daniel Pitt, avocat

Anne Perry mérite bien son surnom de ‘reine du polar victorien’. J’ai lu tous les romans de la série des Pitt et de la série des Monk, au cours des quarante dernières années, et Perry ne faiblit pas. Ce dernier Pitt (Daniel, le fils, avocat, et non William, le père, chef de la Special Branch) finit presque par nous faire oublier que, dorénavant, le personnage principal est le fils. Pas facile quand on s’est attaché à William pendant de nombreuses années. Pourtant, il y a un style Anne Perry qui domine, qui que ce soit qui mène l’enquête, Monk inclus.

Londres 1910. Depuis 4 ans, la structure familiale de la famille Pitt s’est radicalement modifiée : William travaille toujours, son épouse Charlotte, post-cinquantaine, est toujours belle et intelligente, mais Daniel, 25 ans, récemment admis au barreau, vit maintenant seul, alors que sa sœur aînée de trois ans, Jemima, a épousé un Américain, vit à Washington, et a deux beaux jeunes enfants.

Philip Sidney, diplomate britannique en poste à Washington, accusé de détournement de fonds et soupçonné de vol de bijou et d’intrusion dans la chambre d’une jeune femme (Rebecca) de la riche bourgeoisie américaine, s’est prévalu de l’immunité diplomatique et s’est enfui à Londres.

La police anglaise l’arrête pour détournement de fonds. Jemima et son mari Patrick, policier à Washington, sont arrivés à Londres pour y passer un mois. Ils mettent Daniel au courant de cette affaire et, comme ils sont amis de Rebecca et de ses parents, ils demandent à Daniel de défendre Sidney pour l’accusation de détournement de fonds, espérant faire apparaître au cours du procès l’agression contre Rebecca et le vol du bijou. Daniel essaie de refiler la cause à Kitteridge, mais en vain. Il ne veut pas décevoir Jemima et Patrick, et c’est bien certain qu’il est contre l’agression dont Rebecca fut victime, mais il prend au sérieux la défense du diplomate britannique. Ce pourquoi il doit regarder les faits de près. D’autant plus qu’on soupçonne maintenant Philip Sidney de meurtre et, peut-être aussi, d’espionnage.

La tension monte doublement, d’abord parce que le cas est beaucoup plus complexe qu’il ne paraissait, et aussi parce que Daniel est lui-même déchiré par des dilemmes moraux : ne décevoir ni sa sœur, ni son beau-frère, mais ne pas être injuste vis-à-vis de son client, ne pas couvrir une agression contre une jeune femme mais à condition d’être certain de l’identité de l’intrus. Daniel réclamera le secours de Blackwell (un personnage louche qu’il avait aidé précédemment), de sa sœur en tant qu’amie de Rebecca, de Patrick (tout en s’en méfiant un peu parce qu’il est redevable aux Thorwood, les parents de Rebecca), et surtout de la docteure Miriam fford Croft, la fille de Marcus, le patron de Daniel et directeur du cabinet fford Croft et Gibson. Et quand la chose deviendra énorme, un avis discret de William sera bienvenu.

Perry prend grand soin de peindre des personnages substantiels et crédibles : c’est pourquoi, dans ses romans, on parle beaucoup, les relations interpersonnelles sont soigneusement développées, mais l’intrigue n’en souffre pas trop. C’est difficile de ne pas s’attacher aux personnages, d’autant plus qu’on connaît déjà les membres de la famille. Perry fait en sorte que ses personnages ne sont pas devant l’action, mais dedans. Le lecteur est ainsi amené à partager leurs émotions, en même temps qu’il est impliqué dans les problèmes qu’il s’efforce de résoudre.

La culpabilité ressentie par Daniel et sa gêne devant Miriam peuvent un peu agacer, mais il n’a que 25 ans ! Le principal est que ces sentiments ne le paralysent pas. Perry aime bien faire vieillir ses personnages et étudier en quel sens se modifient les relations entre eux, entre Daniel et son père, par exemple.

Bref, la plus grande qualité des romans d’Anne Perry est peut-être qu’ils ne se réduisent pas à de purs et simples problèmes à résoudre. Influence d’Agatha Christie, sans doute, mais aussi de Jane Austen.

 Extrait :
Eh bien ? dit-il, curieux. Qu’avez-vous d’intéressant ? Vous n’allez pas me parler d’un testament ou d’un litige sur bornage, j’espère. Les histoires d’héritage m’ennuient tant que je pourrais en tapisser le Sahara (…) Pourquoi avez-vous amené Pitt ? Vous aviez besoin de soutien moral ?
Kitteridge se redressa.
Non, monsieur. C’est son affaire et il m’a demandé d’y participer en tant que… en tant qu’avocat plus chevronné que lui.
Il serait difficile de l’être moins, ironisa Marcus. Eh bien, allez-vous me dire de quoi il s’agit ? Ou êtes-vous simplement venu lui tenir la porte ?
Daniel vit se crisper les muscles du visage de Kitteridge alors qu’il parlait.
Je vais le faire, monsieur, mais vous désirerez peut-être l’interroger pour obtenir des détails supplémentaires.
Bien entendu. Des détails de quoi, au juste ?
D’une affaire qui a commencé à Washington, en Amérique, et qui a traversé l’Atlantique, si bien que c’est à nous de réparer les dégâts, commença Kitteridge, parlant trop vite pour empêcher Marcus de l’interrompre, ce qu’il brûlait manifestement de faire. Une agression et un vol ont été commis au domicile d’une famille américaine distinguée. La fille a été dépouillée dans sa chambre, en pleine nuit. Le père affirme avoir vu et reconnu l’intrus. C’était un jeune diplomate, Philip Sidney, en poste à l’ambassade britannique à Washington. (…) Il a invoqué l’immunité diplomatique. Et il s’est enfui pour revenir ici.
Coupable, lâcha Marcus, sur un ton tel que Daniel n’aurait su dire si c’était une question ou une réponse.
Ce serait sans importance, du moins, du point de vue juridique, s’il n’avait pas été inculpé de détournement de fonds appartenant à l’ambassade pendant qu’il était en poste.
Marcus se redressa d’un bond.
Et arrêté ? On va faire son procès ? Pourquoi, pour l’amour du ciel ? Qu’ils reprennent l’argent et se taisent ! Veulent-ils que le monde entier sache que nous employons de tels … vauriens … pour nous représenter à l’étranger ?
J’ai peur que Tobias Thorwood ne le permette pas, continua Kitteridge. Pas plus d’ailleurs que le policier américain qui voulait l’inculper de vol et d’agression…

Alderney

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

 

 

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