Ma douleur est sauvagerie – Pierric Guittaut

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2019 –
Les Arènes

Genres : Roman noir, grands espaces
Personnage principal : Stéphane Mortaux, Professeur de mécanique et chasseur

Il se passe quelque chose réalise Stéphane alors qu’il a le cerf blanc dans la ligne de mire de son fusil. Quelques mètres séparent le chasseur de l’animal. Le temps qu’il s’interroge sur le regard étrange de l’animal et le blocage qu’il ressent, le cerf est parti. Il n’a pas tiré. Quelques jours après sa femme se tue dans un accident de voiture. Il ne sait pas que c’est le cerf blanc qui est à l’origine de l’accident. Quand il l’apprend la culpabilité le submerge : s’il avait tué l’animal, sa femme serait vivante. Il considère désormais que ce cerf blanc est l’incarnation du mal. Il prend une résolution : il doit le tuer. Il abandonne tout et part en forêt pour chasser l’animal. La traque est longue, le chasseur s’intègre complètement à l’environnement. Il vit comme une bête, revient à l’état sauvage pour pouvoir approcher sa cible. Il reste animé par la certitude qu’il va retrouver le cerf blanc et le tuer ou qu’il sera tué.

Ce pourrait être l’histoire d’une simple traque mais c’est bien plus que ça. C’est le récit de la transformation d’un homme. Stéphane, aveuglé par un désir de vengeance, part dans les bois en automne, mal préparé pour affronter la pluie et le froid. Les premiers temps sont difficiles, la tentation du renoncement forte, mais il s’accroche et réussit à s’adapter : il trouve une source et un refuge. Il vit comme une bête, redevient sauvage. Maintenant il est prêt à affronter le grand cerf blanc.

La confrontation a bien lieu mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Stéphane constate que finalement la vie à l’état sauvage lui convient. Son rapport au temps et à l’espace change, il entre en communion avec la nature, il s’épanouit, il devient libre. Vivant comme un ermite, dans le dénuement, mais ne manquant de rien, Stéphane a finalement trouvé l’harmonie, sans vraiment être conscient que c’était sa véritable quête. Et ce n’est pas la rencontre avec deux randonneuses égarées qui lui redonne l’envie de retrouver le monde qu’il a quitté. Mais ce monde dit civilisé finira par le rattraper.

Il y a dans ce roman à la fois de la force et de la poésie. L’auteur a parfaitement su transcrire les sentiments profonds ressentis par l’homme sauvage en communion avec le cosmos et, par contraste, le côté étriqué et superficiel de notre société. Il y a quelque chose de mystique dans cette démarche.

Ce livre interroge sur ce qu’est un homme civilisé. Roman puissant, prenant et fort bien écrit. Superbe !

Extrait :
– Tu sais, Caroline, les mois que j’ai passés dans les bois, eh bien, je les ai vécus avec une telle intensité, une telle nouveauté, une telle acuité, une telle volonté de découverte, que chaque minute était comme une heure d’avant. C’est comme si j’avais déjà vécu une autre vie depuis six mois, au moins aussi longue que la précédente. Je n’ai plus de raison de vouloir gagner du temps à tout prix. J’ai maîtrisé le temps, le Cerf est mort. J’ai compris qu’essayer en permanence de repousser la date de sa mort parce qu’on croit chercher quelque chose, et qu’on croit avoir toujours besoin d’encore un peu de temps pour le trouver, c’est juste absurde. Ce que l’on cherche est partout, et il suffit d’un instant pour s’en emparer. Chaque jour, chaque aurore peut être le début d’une nouvelle vie radicalement différente de la première. Un enfant éveillé de douze ans et fauché par la mort peut avoir vécu une vie bien plus longue que celle d’un vieillard précautionneux et fermé à la vie.

Cerf blanc

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

 

 

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2 réponses à Ma douleur est sauvagerie – Pierric Guittaut

  1. Bonjour Raymond,
    Je viens de prendre connaissance de votre recension et je suis heureux que ce texte ait pu vous parler. En l’absence d’enquête et d’intrigue à proprement parler, je crois qu’un certain nombre de lecteurs ont été un peu déroutés, mais c’était le risque avec ce genre de récit. Je crois que certains lecteurs se sont dit qu’il y avait un « message », sans être certains de pouvoir l’identifier, alors que vous avez parfaitement saisi et résumé son propos : interroger sur la notion de civilisation et de barbarie, sans proposer de réponse définitive en attendant du lecteur qu’il se fasse sa propre opinion. C’est tout.
    Merci d’avoir pris le temps de découvrir ce texte. Amitiés.

    • Ray dit :

      Je suis heureux de constater que ce que j’ai ressenti à la lecture de votre livre correspond à ce que vous avez voulu faire passer, ce qui n’est pas toujours le cas, vous le savez bien. Oui, j’ai apprécié cette histoire et votre belle écriture. Merci Pierric.

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