Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2009 (The Brutal Telling)
Date de publication française : 2012 (Flammarion)
Traduction : Claire Chabalier et Louise Chabalier
Genres : Enquête, régional
Personnage principal : Armand Gamache, Sûreté du Québec
Louise Penny est certainement l’écrivaine québécoise qui a obtenu le plus de prix. Née à Toronto (1958), elle a épousé un médecin de l’Hôpital pour enfants de Montréal, et elle s’est installée à Sutton dans les Cantons de l’Est, connue surtout pour son magnifique Centre de ski. C’est dans un de ces villages caractéristiques de l’Estrie, Three Pines (Les Trois Pins), que se passent les enquêtes de son policier montréalais, Armand Gamache, de la Sûreté du Québec. Séduit par la publicité qui entoure Penny, j’avais essayé un de ses romans (Sous la glace1), mais je l’avais terminé rapidement en lisant que « comme tout bon québécois, Gamache ne pouvait pas rater à la télé un match de curling » (je cite de mémoire). Pour moi, une telle absurdité jetait le discrédit sur l’ensemble du roman. Un ami qui me veut du bien observa que mon jugement avait peut-être été un peu rapide et m’encouragea à lire un autre de ses romans.
Fin de l’été à Three Pines : dans le bistro d’Olivier, lieu de rassemblement par excellence des villageois, on découvre un cadavre inconnu apparemment pour tout le monde, ce qui est assez étonnant dans un village où chacun connaît la vie de chacun. Gamache mène l’enquête, assisté par l’inspecteur Jean-Guy Beauvoir, spontané pour le meilleur et pour le pire, de l’agente Isabelle Lacoste, travailleuse et intelligente, et du jeune Morin, naïf mais prometteur. L’enquête consiste à interroger tous les habitants du village deux fois plutôt qu’une. Ces habitants sont décrits succinctement par Penny : Ruth, poète et à peu près folle, toujours accompagnée de son canard appelé Rose; le patron du bistro, Olivier, aimable et aimé; son conjoint Gabri, gentil colosse; la libraire Myrna, serviable mais rancunière; Peter et Clara Morrow, absorbés par leur potager; les nouveaux-venus qui ont acheté la maison des Hadley, Marc et Dominique Gilbert, ambitieux et entreprenants, et la mère de Marc, Carole, qui surveille les choses de près, mine de rien. Et j’en passe.
On finit par découvrir que le cadavre est celui de l’Ermite qui habitait une cabane dans les bois, à l’insu de tous, ou presque, et qu’il avait été transporté au bistro. Sa cabane abrite des trésors de verrerie, de vaisselle, d’objets rares et précieux; des billets de 20$ servent de papiers de toilettes et de bouche-trous. De petites sculptures en bois et le prénom Charlotte obsèdent Gamache, qui se rend aux Iles Charlotte, pour apprendre que l’Ermite n’était pas seulement apeuré mais terrorisé.
Ce qui l’amènera à déduire l’identité de l’assassin.
Impulsivement, je citerais : « Beaucoup de bruit pour rien ! » Si on suit l’enquête policière comme telle, en laissant de côté des histoires de peu d’intérêt eu égard à l’intrigue, comme les divagations de Ruth, les tourments de Clara et la mesquinerie de Peter, l’obsession de Dominique pour les chevaux, les vagues déclenchées par la venue à Three Pines de Vincent Gilbert, on trouve peu de matière et l’auteure doit insister souvent sur le fait que Gamache est génial (ce qui n’est pas évident : « Gamache avait été si subjugué par les objets dans la cabane, jamais il n’avait envisagé qu’il pouvait manquer quelque chose ») et que le drame de Three Pines est horrible. On préférerait qu’elle nous le fasse sentir plutôt que de tenter de nous convaincre par ses répétitions. Ce n’est pas non plus en exagérant des traits de caractère qu’on va être persuadé que la situation est dramatique.
Il serait peut-être préférable de considérer ce roman comme une sorte de littérature du terroir, ou rurale, une sorte de sociologie d’un village des Cantons de l’Est où, au niveau du langage comme au niveau des relations, l’anglais et le français se mêlent. Et, d’un point de vue sociologique, les bâtiments, les conversations, les habitudes des habitants, la curiosité et la méfiance vis-à-vis des nouveaux-venus, les vieilles rancunes, tout cela est décrit de façon vraisemblable.
Quoi qu’il en soit, une overdose de publicité risque souvent d’entraîner une amère déception.
1 J’ai rendu compte de ce roman le 6 juillet 2012, et Raymond a commenté Nature morte à la même date.
Extrait :
Ils traversèrent le parc du village à la hâte, leurs imperméables claquant au vent. Se battant avec son parapluie, Myrna Landers vint à leur rencontre et, ensemble, ils se précipitèrent au bistro. Le jour se levait, gris et pluvieux. Ils atteignirent l’établissement en quelques enjambées seulement, mais, déjà, ils avaient les cheveux plaqués sur la tête et leurs vêtements étaient trempés. Or, pour une fois, ni Olivier ni Gabri ne se plaignirent. Glissant à côté de Myrna, ils s’arrêtèrent devant le bâtiment en brique.
– J’ai appelé la police. Elle devrait bientôt arriver, dit-elle.
– Es-tu certaine de ne pas t’être trompée ? demanda Olivier en dévisageant son amie et sa voisine.
Elle était grosse, ronde, mouillée, chaussée de bottes en caoutchouc jaune vif et vêtue d’un imperméable vert lime, et tenait serré dans sa main un parapluie rouge. C’était comme si un ballon de plage avait explosé. Mais jamais elle n’avait paru plus sérieuse. Bien sûr qu’elle était certaine de ne pas s’être trompée.
– Je suis entrée et j’ai vérifié, répondit-elle.
– Oh, mon Dieu, murmura Gabri. Qui est-ce ?
– Je ne sais pas.
Niveau de satisfaction :
(3,2 / 5)