Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2010-2011 (Goldstein)
Date de publication française : 2013 (Seuil)
Traduction : Magali Girault
Genres : Enquête, thriller, historique
Personnages principaux : Gereon Rath, commissaire à Berlin
J’avais passé à travers le premier de la série (Poisson mouillé) comme une flèche. Je n’ai pas trouvé en librairie le deuxième (La Mort muette), mais voici le troisième; chaque tome a son autonomie propre. Et une fois le roman commencé, ça n’a pas été facile de m’arrêter. Sans trop que je sache pourquoi.
Berlin 1931. Le FBI avertit les Allemands qu’un redoutable tueur à gages new-yorkais, Abe Goldstein, va bientôt arriver chez eux. De fait, il est signalé à Berlin, et le commissaire Gereon Rath est chargé de le surveiller. Des leaders importants des deux organisations mafieuses rivales, la Berolina et les Pirates, disparaissent et seront vraisemblablement assassinés. La presse antisémite accuse Goldstein qui a, semble-t-il, échappé à la surveillance de Rath, mais le gangster paraît avoir un alibi. Par ailleurs, l’amie de Rath, Charly, a pour mission de suivre de près le schupo (agent de police allemand) Kuschke, soupçonné d’avoir tué un jeune voleur, et devenu l’objet de la vengeance de l’amie de ce jeune homme, Alex. Charly tente d’aider Alex, qui n’est ni facile à trouver, ni facile à convaincre.
Rath subit la pression des autorités policières mais aussi d’un grand chef mafieux, Marlow, avec qui il entretient une relation ambigüe, et qui cherche à savoir qui a fait disparaître Hugo le Rouge. Rath ne sait plus où donner de la tête, d’autant moins que sa relation avec Charly est problématique. Pas facile de travailler dans un contexte de frustrations économiques qui attisent l’antisémitisme, stimulent la criminalité, favorisent la multiplication des ripoux, et encouragent les manifestations sanglantes entre communistes et fascistes. Cette montée de l’extrême-droite, qui implique le mépris de la République, l’irrespect des lois, la violence pro germanique pure et dure, est soulignée sans complaisance par Kutscher, aspects qu’on est bien placé pour comprendre depuis l’arrivée de Trump à la Présidence des États-Unis.
Les chapitres sont courts, un peu comme dans un montage cinématographique nerveux. Plusieurs histoires substantielles différentes alternent rapidement. Le lecteur est bousculé, mais il en redemande, parce qu’on sent bien que le dénouement sera spectaculaire et éclairant. C’est vraiment le rythme qui est l’atout principal du roman; le réalisme du contexte et des personnages également : on participe à cette montée du fascisme devant laquelle les citoyens, épuisés et écœurés, n’ont ni le goût, ni la force, de réagir.
Enfin, certains apprécieront peut-être la ténacité de Rath ou à la générosité de Charly, mais ce ne fut pas mon cas : en vieillissant, Rath ne s’améliore pas, jaloux, possessif, macho; et Charly me fait penser aux jeunes filles aux vertes espérances qui participaient aux Jeunesses Étudiantes Catholiques dans les années 60. Que, malgré cette restriction, l’œuvre nous prenne et ne nous lâche plus, c’est là toute la force de Kutscher.
NB. Un complément bénéfique aux films Cabaret (1972) et L’Ange bleu (1930).
Extrait :
– Gardez les mains en l’air, monsieur Goldstein ! hurla Böhm dans le mégaphone.
– Gould-stine. Le reprit Abe Goldstein.
En entendant sa voie, Rath faillit pousser un cri de joie. Son plan avait fonctionné !
– Je m’appelle Gould-stine, poursuivit le gangster. Je suis citoyen américain et il doit s’agir d’un malentendu.
– Vous êtes en état d’arrestation, monsieur… Gouldstine. Vous êtes soupçonné des meurtres de Jochen Kuschke, Gerhard Kubicki, Hugo Lenz, Rudolf Höller et Aberhard Kallweit.
– Dans ce cas, dites à vos hommes de me passer les menottes, mes bras sont en train de s’engourdir !
– Vous n’avez rien d’autre à ajouter ?
La surprise s’entendait dans la voix de Böhm.
– Non, sinon que je suis innocent, bien entendu, répondit Goldstein
Tornow et Rath n’avaient pas raté un seul mot de l’échange.
L’évacuation du gangster prit un temps considérable, mais le calme finit par revenir dans les jardins ouvriers. Les membres de la police judiciaire et les schupos qui s’étaient assurés qu’aucun voisin innocent ne se retrouve dans la ligne de tir furent les premiers à sortir, suivis des policiers qui avaient encerclé la cachette de Goldstein, avec parmi eux les deux hommes qui entouraient le gangster.
Goldstein, les mains menottées dans le dos, semblait d’assez bonne humeur, jusqu’à ce qu’il reconnaisse Rath, et peut-être aussi Tornow. Au moment où il les aperçut, sa mine s’assombrit et la colère se lut sur son visage avant de laisser la place à un profond mépris.
Niveau de satisfaction :
(4,6 / 5)