Comptine mortelle – Anthony Horowitz

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2016 (Magpie Murders)
Date de publication française : 2018 (Éd du Masque)
Traduction (anglais) : Annick Le Goyat
Genres : Enquête
Personnage principal : Fidèle Staupert, détective

Horowitz a écrit beaucoup pour la jeunesse (la série des Alex Rider), a fignolé d’habiles pastiches (Holmes, Bond,) et a scénarisé quelques téléséries (Poirot, Barnaby, Foyle…) qui ont eu du succès. C’est avec plaisir que j’ai lu et recensé La maison de soie, une aventure de Holmes si compromettante pour bien du monde que Watson a recommandé qu’on ne la publie pas avant 100 ans.

Dans ce cas-ci, il ne s’agit pas d’un pastiche, mais d’un roman dans un roman. La coéditrice de Cloverleaf, Susan Ryeland, commence par nous présenter la neuvième enquête du détective créé par Alan Conway, Fidèle Staupert : Épitaphe de la pie. En 1955, dans un petit village anglais, Saxby-on-Avon, on enterre Mary Elizabeth Blakiston (1887-1955), qui travaillait comme gouvernante à Pye Hall dans la riche demeure de Sir Magnus Pye. Alors qu’elle passait l’aspirateur au deuxième étage, elle se serait enfargée dans le fil et aurait chuté jusqu’au bas de l’escalier. Le jardinier Neville Brent l’aurait vue étendue à travers une fenêtre, aurait appelé la docteure Emilia Redwing, et aurait brisé un carreau pour laisser entrer Emilia. Pour la plupart, c’est un accident, même si plusieurs personnes auraient eu de bonnes raisons de faire disparaître Mary Blakiston, fouineuse invétérée et notant dans son journal les faiblesses de chacun. Quelques jours plus tard, c’est Sir Magnus Pye, égoïste et cruel personnage, qui meurt dans son manoir : peu probable qu’il s’agisse d’un accident, parce que sa tête avait été tranchée par l’épée de l’armure médiévale qui trônait dans le hall.

Le détective d’origine allemande Fidèle Staupert, gravement atteint d’un cancer qui limite son temps de vie, s’amène et retrouve son vieil ami l’inspecteur Chubb à qui l’enquête a été confiée. Staupert n’avait pas trouvé pertinente la démarche de Joy Sanderling qui lui avait demandé de venir au village pour défendre la réputation de Robert Blakiston, son amoureux, que trop de gens désignaient comme le meurtrier de sa mère. Avec l’assassinat de Sir Magnus, cependant, la situation a changé : Staupert, assisté de son secrétaire James Fraser, doit percer cette énigme. Plusieurs auraient eu intérêt à tuer Magnus : le jardinier Brent qui, après une vie de loyaux services, vient d’être mis à la porte; Robert Blakiston, qui aurait pu reprocher à Magnus Pye d’avoir provoqué la mort de son frère et d’être indirectement responsable de la mort de sa mère; le pasteur Osborne, dont l’alibi n’est pas très clair et dont la bicyclette se retrouve sur les lieux du crime; Matthew Blakiston, le père, qui était présent sur les lieux du crime; Clarissa Pye enfin, la sœur de Magnus, qui a été ruinée et méprisée par son frère. Staupert enquête à droite et à gauche, fait fonctionner ses petites cellules grises, et croit enfin qu’il a trouvé la solution des deux crimes.

Sauf que les derniers chapitres du livre de Conway sont disparus, ou même ont-ils été vraiment rédigés ? Dans ces chapitres, Staupert aurait livré la solution et donné ses arguments, lors d’une réunion des principaux suspects, comme cela arrive dans les Poirot. Susan Ryeland cherche désespérément les dernières pages du manuscrit, et croit que Charles lui a peut-être joué un tour en omettant de lui remettre l’ensemble pour qu’elle déduise elle-même l’identité de ou des assassin(s). Ce n’est pourtant pas le cas et, comble de malheur, Conway tombe, saute, ou est poussé en bas de la tour de son manoir.

Une nouvelle aventure commence donc pour trouver la fin du roman de Conway et pour éclaircir les circonstances de sa mort. Mais Ryeland n’est pas Staupert et son enquête lui coûtera presque la vie. Conway n’était pas un être très agréable et plusieurs auraient pu attenter à sa vie : son jeune ami James Taylor, qu’il projetait de déshériter; sa sœur Claire, avec qui il s’était brouillé pour des questions d’argent et qui avait intérêt, par ailleurs, à ce que le roman ne soit pas publié parce qu’il l’avait transposée dans le personnage de Clarissa Pye en la caricaturant; le pasteur Robeson, que Conway faisait peut-être chanter; Donald Leigh, qui accusait Conway d’avoir plagié un de ses romans; le producteur Mark Redmond, qui ne parvenait pas à s’entendre avec Conway pour faire paraître Les Aventures de Fidèle Staupert.

Susan Ryeland est rongée par un fâcheux dilemme : doit-elle accepter de prendre la relève de Charles à la tête de Cloverleaf ou doit-elle accepter d’épouser Andreas et d’aller vivre en Crète pour gérer un joli restaurant dont la terrasse de pierre s’étend jusqu’à la Méditerranée ? Distraite par ce choix qu’elle tarde à faire, elle est aidée dans son enquête par une rencontre inattendue qui la pousse sur une piste où elle s’engage imprudemment seule. Elle finit par mettre la main sur les chapitres manquants, mais l’assassin de Conway met la main sur elle.

Sauvée in extremis, Susan est restée quelques mois en convalescence. Pendant ce temps, l’assassin de Conway et celui de Sir Magnus sont écroués. Épitaphe de la pie a été publié en entier. Puis, quelques mois après, à la tombée de la nuit, Susan et Andreas sirotent un raki sur la terrasse de leur petit hôtel bien sympathique à Agios Nikolaos.

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? C’est la réaction que plusieurs auront en quittant ce roman. Épitaphe pour la vie, neuvième enquête de Fidèle Staupert, aurait été sans doute suffisant : un très fort roman directement inspiré des Hercule Poirot, où l’auteur sème çà et là un bon nombre d’indices que le détective parviendra à trouver et à interpréter. Un whodunit classique habilement construit. Et j’admets que, quand on lit le deuxième roman, le roman dans le roman, et qu’on ignore qui a tué Sir Magnus, on en veut un peu à Horowitz de nous imposer cette mise en abîme. Quand on a terminé l’ensemble, cependant, la reconstitution des événements par Staupert est suffisamment brillante pour qu’on cesse de blâmer Horowitz dont on admire le sens du jeu et l’élégance de la construction.

Et, après tout, c’est du 2 pour 1 !

Extrait :
Ils étaient cinq dans le bureau de l’inspecteur Chubb au commissariat de Bath. Il y régnait une atmosphère étrangement silencieuse. De l’autre côté des hautes fenêtres, la vie continuait, mais ici elle semblait figée dans un instant qui avait toujours paru inéluctable et qui était enfin arrivé. L’inspecteur s’était installé à sa place habituelle, même s’il aurait peu à intervenir. Il était à peine plus qu’un témoin. Mais il s’agissait de son bureau, de son autorité, et il tenait à ce que ce soit clair. Fidèle Staupert était assis à côté de lui, une main posée sur la surface lustrée du bureau, sa canne en bois de rose appuyée en diagonale contre l’accoudoir du fauteuil. James Fraser était rencogné dans un angle de la pièce.
Joy Sanderling, dont la visite dans le bureau de Staupert à Londres avait attiré celui-ci à Saxon-on-Avon, était assise face à eux, sur une chaise qui avait été soigneusement positionnée; on aurait dit qu’elle venait pour un entretien d’embauche. Robert Blakiston, pâle et nerveux, se tenait près d’elle. Ils avaient peu parlé depuis leur arrivée. C’était sur Staupert que se focalisait toute l’attention, et il prit la parole.

Presbytère

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

 

 

Ce contenu a été publié dans Britannique, Enquête, Remarquable. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.