Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2020
(Guy Saint-Jean Éd.)
Genre : Thriller
Personnage principal : Morgane Edwards, thérapeute spirituelle
J’ai suivi avec plaisir toutes les productions policières de Guillaume Morrissette depuis L’Affaire Mélodie Cormier, en 2015. C’est un de nos plus jeunes auteurs québécois, bourré de talents et manifestant un sens du jeu remarquable.
Quand je parle aux morts ne se passe pas à Trois-Rivières et ne fait pas appel à l’inspecteur Héroux, comme c’est le cas dans cinq de ses six romans précédents. Nous sommes à Montréal en 2019, même si plusieurs retours en arrière permettent de saisir le personnage principal dans son passé. Morrissette ne perd pas son temps à ergoter sur les caractéristiques psychologiques de ses personnages; il nous les montre en train d’agir.
D’abord Sylvain, très attaché à sa mère, qui n’accepte pas que son deuxième mari, Pierre, désire la placer dans une maison spécialisée parce que lui-même ne peut plus s’en occuper à plein temps. Quand il est obligé d’admettre qu’elle ne le reconnaît plus et qu’elle est intellectuellement déficiente, il s’efforce d’obtenir l’aide médicale à mourir, mais le neurologue de sa mère ne veut rien savoir; Pierre non plus. Comme il a promis à sa mère qu’il ne la laisserait pas vivre en légume, il en vient à penser qu’il doit l’éliminer lui-même pour mettre fin à ses douleurs et respecter sa promesse.
Puis Morgane, thérapeute spirituelle malgré elle, puisqu’elle se dit d’abord victime de ce don qui lui permet de communiquer avec les morts quand les circonstances le permettent. Elle finit par ouvrir un cabinet de consultation où on vient la voir pour entrer en contact avec une personne décédée.
Morrissette prend son temps pour nous présenter ces personnages, et on se doute bien que ces deux histoires vont finir par se recouper. De fait, Sylvain consulte Morgane lui demandant d’essayer de communiquer avec sa mère. Mais, selon Morgane, sa mère n’est pas morte comme on le lui avait dit. Sylvain entreprend alors de retrouver sa mère et de se venger du neurologue et de son beau-père.
La police intervient et les relations entre les enquêteurs Emma Teasdale et Antoine Déry brisent un peu le rythme, ou plutôt nous introduisent dans un autre genre d’histoire. D’une part, le neurologue est disparu; d’autre part, Sylvain menace de tuer sa mère. Il téléphone à Morgane pour lui demander de venir à la résidence de Laval Les Jardins de Renoir. Elle servira d’intermédiaire entre la police et lui.
Pendant qu’elle est à la résidence, Morgane a l’impression que bien des ‘clients’ veulent entrer dans sa bulle. Revenue chez elle, elle croit que l’abbé Plouffe, le curé de son patelin, l’appelle. Elle fonce à Saint-Janvier-de-Joly. Elle retrouve l’abbé, a l’impression que des vivants (particulièrement handicapés intellectuellement) peuvent aussi communiquer avec elle, et élabore une théorie selon laquelle des gens qui ne peuvent plus communiquer consciemment peuvent sans doute utiliser leur inconscient pour entrer en contact avec quelques autres. Ce qui expliquerait l’expérience qu’elle a eu à la résidence quand elle a constaté que plusieurs pensionnaires qui étaient retirés à l’extérieur de la résidence voulaient lui parler.
Deux ans plus tard, Morgane soupe avec une amie quand un mauvais pressentiment l’accable. Incapable de rejoindre son père au téléphone, elle essaie de communiquer avec lui par une sorte de télépathie. Mais c’est son grand-père qui se présente, mort depuis longtemps, et qui, à sa demande, se rend chez son fils, le père de Morgane, et constate qu’il est étendu sur le sol du salon.
À l’hôpital où il a été transporté, Morgane le retrouve mais pas pour longtemps. Du moins dans ce monde-ci.
Puis, on revoit Morgane à l’Université du Québec, qui témoigne à la première commission d’enquête sur l’aide médicale à mourir.
J’ai essayé de respecter les changements de rythme et l’étonnante structure du récit. Existence tourmentée d’une voyante, réflexion sur l’aide médicale à mourir, enquête sur un meurtre et une tentative de meurtre. Amalgame audacieux et déconcertant. J’ai bien hâte de retrouver l’inspecteur Héroux.
Extrait :
– Partout où je vais, ce sont les morts qui viennent à moi. Peu importe où je me trouve ! Avec le temps, je me suis convaincue que c’était normal, qu’avec le nombre de gens qui sont passés sur la Terre, les vivants ne sont que la pointe de l’iceberg.
Plouffe acquiesçait.
– Ça explique les foules dans les cimetières et les endroits vides ailleurs, vous comprenez ? poursuivit Morgane. Ce langage, il n’y a qu’eux qui semblent le comprendre. Mais là…des gens en vie…
Le curé s’adossa à sa chaise et porta une main à son menton.
– De la même façon que vous faites habituellement ?
– Oui ! confirma Edwards1. Identique ! Et j’ai compris ! (…)
– Qu’avez-vous compris, mon enfant ?
Morgane posa ses mains sur la table et prit un air solennel.
– Je crois que ce n’est qu’une question de communication, vous me suivez ? Conscient, subconscient… Quand vous êtes acculé au pied du mur, la seule façon qu’il vous reste pour vous exprimer, elle n’est pas dans le conscient ! Le corps ne veut plus, vous êtes forcé de trouver autre chose. Moi, je n’ai jamais été à l’écoute des vivants…
1 Nom de famille de Morgane.
Niveau de satisfaction :
(3 / 5)