Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2020 – Éditions du Sonneur
Genres : Roman noir, fantastique
Personnage principal : Gemma, jeune adolescente
Il y a eu une pandémie et quand le virus a muté, il y a eu beaucoup de morts. Une famille a survécu, elle vit en pleine montagne dans une cabane isolée. Il y a le père, la mère et leurs deux filles. Le périmètre autour de la cabane est le Sanctuaire, zone de sécurité dont il ne faut pas sortir. Seul, le père peut s’éloigner pour rapporter ce qui est nécessaire à leur survie. La femme et les filles restent confinées dans cet espace. À proximité se trouve une mine abandonnée où un homme avait été emmuré vivant lors d’un effondrement. Les oiseaux sont un danger, ils ont amené le virus mortel. Ils sont tués dès qu’ils sont à bonne distance et le père les brûle au lance-flammes. Mais un jour, en essayant de retrouver un aigle qu’elle a blessé avec son arc, Gemma, la plus jeune des filles, va apercevoir quelque chose de stupéfiant pour elle. Cela va attiser sa curiosité. Mais chercher à en savoir davantage c’est prendre beaucoup de risques.
Quatre personnes d’une même famille vivent recluses, mais toutes ne vivent pas cette situation de la même façon. La benjamine, Gemma, est la narratrice. Elle est née dans le Sanctuaire, elle n’a pas connu le monde d’avant la catastrophe. C’est une sauvageonne parfaitement adaptée à ce monde restreint. C’est une chasseresse efficace. Elle ne se posait pas de questions avant une découverte qui va remettre en question ses connaissances, ce que son père lui a appris. La sœur aînée, June, a connu le monde d’avant. Elle allait à l’école, à des anniversaires, avait des amis, un papi, une mamie, des oncles et des tantes, des jouets. Elle était insouciante. Tout ce qui a été balayé en quelques jours lui manque beaucoup. Elle est frustrée. La mère est nostalgique du passé. Elle ressasse ses souvenirs : le théâtre, le cinéma, le restaurant chinois, les cathédrales et tous les petits plaisirs de la vie d’avant. Elle s’étiole, tout entière vouée à son mari. Le père au contraire s’épanouit : il bâtit, invente, construit. Il est plus robuste et plus fort qu’il ne l’a jamais été. Ici, il a façonné un monde à sa mesure. Le Sanctuaire est son chef-d’œuvre. La pandémie a permis à ce misanthrope de construire un environnement idéal pour lui sans tenir compte des souhaits de sa famille. Mais ce monde, construit sur un mensonge, va s’écrouler quand la curiosité des filles va les pousser à transgresser les consignes paternelles et s’émanciper en se libérant des interdits imposés par ce père jusqu’ici respecté et admiré.
Bien qu’il soit question dans ce livre de pandémie et de catastrophe mondiale, ce n’est pas vraiment un roman post-apocalyptique. La grippe aviaire qui a décimé la population ne sert que de prétexte pour installer l’environnement fermé mis en place par un père possessif. Un paradis pour lui, une prison pour les autres. L’histoire a un côté fantastique par le lien qui unit un vieux fou aux oiseaux : il est capable de leur parler et il comprend leur langage. Il y a aussi l’étrange complicité d’un aigle avec Gemma.
Le Sanctuaire est court, mais dense et prenant, servi par une écriture limpide. Un excellent roman d’une écrivaine à suivre.
Extrait :
Au contraire, le Sanctuaire galvanise Papa. Il bâtit, invente, construit, récupère. Chaque jour Maman s’étonne ; elle ne l’a jamais connu aussi robuste. Selon elle, Papa a toujours évité le contact avec les autres. Il se moquait bien de vendre ses sculptures dans les galeries les plus réputées, se payait la tête de Kronauer ou Mevlido – des agents wahou, selon Maman. Eux le courtisaient jusque chez lui, dans sa maison en bord de mer. Il les recevait en caleçon, sur le pas de la porte, et les écoutait d’une oreille en buvant une canette. Aucune de leurs propositions n’était jamais assez intéressante. Seule Maman, de temps à autre, parvenait à lui faire signer un contrat. Elle le tirait par la manche pour qu’il se rende au vernissage. Parfois, il y allait pieds nus. Le petit monde de l’art adorait ça. Des putain de lèche-culs, déclarait Papa. Il était devenu leur coqueluche. Lui aurait préféré passer son temps dans la forêt, à chercher les bonnes essences, à quêter le nœud de tel arbre, la forme de telle branche, à éprouver combien il était dépassé par les prodiges de la nature – coquette lingerie d’une sauterelle aux ailes bleues, sautoir de rosée à la gorge d’un tronc. Et il retournait dans son atelier, le front rendu humble par tant de beauté, où il bataillait sans relâche avec le fer et le bois pour retrouver l’énergie sauvage et raffinée d’une libellule sur une feuille qui ploie.
Ici, Papa a façonné un monde à sa mesure.
Le Sanctuaire est son chef-d’œuvre.
Niveau de satisfaction :
(4,3 / 5)