Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2021 (The Therapist)
Date de publication française : 2021 (Hugo Thriller)
Traduction : Vincent Guilluy
Genre : thriller psychologique
Personnage principal : Alice Dawson, jeune femme sensible
Je n’aime pas les polars d’enquête où le tueur est un malade mental : on ne peut pas jouer à découvrir l’assassin puisque les motifs peuvent être infinis, y compris le fait qu’il n’y ait pas de motif du tout. Pour une raison analogue, je me méfie des thrillers psychologiques, ou thrillers domestiques, ou romantic suspenses, comme disent les Anglais : ça me semble peut-être trop facile d’inventer des drames causés par l’idiotie, la mauvaise foi ou les faiblesses de caractère des personnages. Ici aussi, le lecteur ne peut pas prendre pour acquis que les personnages sont à peu près normaux. Ça devient difficile d’être ému par eux; on a plutôt l’impression que plusieurs auraient besoin d’un électrochoc.
Et pourtant, j’avoue avoir eu de la misère à lâcher ce roman de Paris; même si le personnage central m’agaçait par sa sensibilité maladive et sa mauvaise foi, les circonstances étaient si bien décrites et le piège si bien préparé que j’avais hâte de voir comment elle y succomberait et comment, peut-être, elle s’en sortirait. Et plusieurs personnages secondaires méritent aussi notre intérêt. Tous habitent dans une résidence haut de gamme (une douzaine d’appartements), le Cercle de Finsbury, se connaissent au moins de vue, et chacun semble avoir quelques secrets à dissimuler. Ces secrets semblent avoir un rapport avec le fait que, dans un de ces appartements, une jeune femme a été assassinée et son mari s’est suicidé. On le croyait coupable, ne serait-ce que pour ne pas craindre qu’un assassin se cache parmi eux.
Le problème c’est qu’un nouveau couple, Alice et Leo, viennent d’emménager précisément dans la maison où le meurtre a eu lieu. Et Leo ne l’a pas dit à Alice de peur qu’elle refuse d’habiter dans un tel appartement. Marquée par la mort de sa sœur et de ses parents dans un accident d’automobile, Alice a développé une hypersensibilité qui l’entraîne à mentir à ses nouveaux amis ainsi qu’à elle-même. Quand elle apprend que Leo lui a caché le fait qu’une femme avait été assassinée dans leur appartement, elle ne le prend pas, pas plus qu’elle acceptera qu’il ne lui ait pas tout dit de son passé. Elle se retrouve dans une situation intenable : elle ne veut pas quitter Leo mais elle ne peut plus vivre avec lui; elle ne peut plus vivre dans cet appartement, mais elle ne veut pas déménager; elle ne peut pas s’empêcher de chercher à connaître l’assassin de Nina (elle ne croit pas que c’est son mari), mais elle sait bien qu’elle n’est pas équipée pour mener cette enquête.
Elle choisit de congédier momentanément Leo de l’appartement, mais sa vie tourne au cauchemar quand elle a l’impression que quelqu’un vient chez elle pendant la nuit pour l’observer; qu’une personne laisse un Dom Pérignon dans son réfrigérateur (très bizarre, en effet), cache une queue de cheval dans sa lingerie… bref, cette maison semble possédée. Et ses voisins semblent se méfier d’elle, qui a réveillé par ses questions le drame qu’on avait essayé d’oublier, ce qui l’amène à se méfier d’eux à son tour. Est-elle menacée par la folie ou quelqu’un cherche-t-il vraiment à se débarrasser d’elle ?
Même si le dénouement est, en bonne partie, prévisible, le suspense est bien mené; et même si bien des gens ont des allures et des comportements bizarres, ce qui n’est pas si grave dans un thriller psychologique, (et on en observe aussi dans la vie de tous les jours), l’ensemble reste cohérent, et l’auteur sait comment jouer avec nos nerfs.
Finalement, et malgré ma méfiance initiale, j’ai bien aimé.
Extrait :
Je continue à réfléchir. Je sors mon téléphone, appelle encore une fois Leo. Il doit être au travail, mais c’est urgent.
– Je sais que c’est vraiment une question idiote mais, après la réception, est-ce que tu as lavé ma robe blanche ?
– Euh … non.
– Et les cartes que tout le monde nous a envoyées, celles que j’avais exposées sur le manteau de la cheminée, c’est toi qui les as retournées, pour plaisanter ?
– Non.
– OK. Est-ce que tu as laissé pour moi une rose blanche sur l’appui de fenêtre près de la porte d’entrée ?
– Quand ça ?
– Le moment n’a pas d’importance, je veux seulement savoir si tu as fait cela.
– Non.
– Tu ne m’as jamais laissé de rose ?
– Non.
– Super, merci.
Je raccroche, réfléchis un moment et le rappelle une troisième fois.
– Excuse-moi, c’est la dernière fois que je te rappelle, c’est promis.
– C’est bon. (Un temps d’arrêt). J’étais censé te laisser une rose ?
– Non, je voulais juste te remercier pour le champagne que tu as laissé au frigo. J’ai oublié de le faire sur le moment.
– Quel champagne
– Le Dom Pérignon.
– Dom Pérignon ?
– Donc ce n’était pas toi ?
– Tu es en train de me dire que quelqu’un a mis une bouteille de Dom Pérignon dans notre frigo ?
Je réagis immédiatement.
– Elle a dû y atterrir le soir de notre invitation. Quelqu’un a sans doute apporté une bouteille et l’a mise directement au frigo.
– Une bouteille comme ça, je l’aurais repérée tout de suite. Alice, qu’est-ce qui se passe ?
– J’essaie juste de comprendre.
Je raccroche avant que Leo me pose d’autres questions.
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)