Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2018 (Fleuve, Pocket)
Genres : Thriller, enquête
Personnage principal : Vic Altran, policier hypermnésique
Il y a sans doute plusieurs raisons pour qu’on tourne rapidement les pages d’un roman : dans ce cas-ci, c’est pour obtenir des solutions aux nombreux problèmes que sème l’auteur en cours de route. Et ça prend beaucoup de talent pour tourmenter le lecteur à un tel point.
Dès le début, un jeune homme fuit un barrage routier et termine sa course dans un ravin; dans la valise, on trouve un cadavre de femme très mutilée; mais l’automobile vient d’être volée et son propriétaire est disparu. Nous voilà introduits dans une histoire de jeunes femmes kidnappées, violées, charcutées, assassinées et enterrées.
Tout semble avoir commencé quatre ans auparavant, quand la jeune Sarah Morgan a été enlevée. On n’a plus entendu parler d’elle. Deux policiers de la Criminelle de Grenoble, Vic Altran, servi par une mémoire qui n’oublie rien, et Vadim Morel son fidèle compagnon, enquêtent sur neuf cas semblables. Pour l’enlèvement de Sarah, un flic (Colin Bercheron), plus près de la famille et particulièrement de la mère de Sarah, Léane Morgan, s’intéresse particulièrement à ce cas, d’autant plus que le mari, Jullian, vient d’être attaqué et est devenu amnésique, alors qu’il semblait détenir des informations sur sa fille.
On a arrêté en 2015 Andy Jeanson, qui a avoué huit meurtres et indiqué le lieu des enterrements. Mais, dans le cas de Sarah, et d’une jeune aveugle, Apolline, qui vient d’être enlevée, Jeanson, emprisonné, ne semble pas dans le coup. On suspecte Félix Delpierre; d’un autre côté, les agissements de Jullian suscitent aussi une certaine inquiétude chez sa femme et chez le policier Colin. Elle-même découvre un autre suspect, qui aurait été battu et torturé par Jullian.
Derrière tous ces suspects se dissimulerait le véritable maître d’œuvre de tout ce charnier : il se ferait appeler Moriarty.
Alors que les forces de l’ordre sont un peu perdues, c’est Léane qui met le doigt sur le véritable metteur en scène de tous ces drames. Une confrontation ultime s’impose.
Le roman est long et touffu, mais le rythme ne faiblit pas et Thilliez épargne l’angoisse du lecteur par des chapitres courts et en alternant l’enquête de Vic et Vadim d’une part, et celle de Léane d’autre part. Aussi en multipliant les problèmes, de sorte que notre attention est sollicitée de bien des côtés à la fois. Bref, c’est un des thrillers les plus stimulants que j’ai lus depuis un bout de temps qui, malheureusement, se termine misérablement. Je ne parle pas de l’issue de la confrontation (que j’aime bien), mais de la divulgation du grand coupable, qui viole certaines des plus importantes règles de Van Dine et que je considère comme une insulte à l’intelligence; du moins, après avoir été séduit tout au long du récit par une brillante intelligence organisatrice, on se serait attendu à une apothéose finale plutôt qu’à l’utilisation d’un truc de débutant.
Extrait :
Un bruit soudain paralysa Léane au beau milieu de l’escalier. Elle braqua sa torche droit devant elle, retint son souffle. Avait-elle rêvé ? Le bruit recommença, plus franc, plus distinct. Une espèce de raclement d’acier contre de la pierre, qui venait d’en bas.
Elle n’était pas seule.
– Il y a quelqu’un ?
Plus un son. Le vent ? Impossible. Elle prit son courage à deux mains et s’engouffra dans les profondeurs du fort. Elle crut se rappeler qu’il y avait, au bout de cet escalier, une pièce sans fenêtre, en pierre, qui servait jadis à entreposer la nourriture des militaires. Elle stoppa net devant une photo maintenue par un clou dans le mur de droite : un portrait de Sarah, 13 ans à peine. Puis une autre plus bas… Et encore une. Sarah partout. Les photos manquantes des albums étaient toutes là, par dizaines, accrochées à la pierre.
L’antre de la folie.
Un pied après l’autre, la peur chevillée au corps, elle s’enfonça plus encore. Sa lampe creva l’obscurité de la réserve. Elle braqua son faisceau, balaya le mur opposé et frôla l’arrêt cardiaque lorsque le cercle de lumière s’arrêta sur des poignets menottés, puis sur un visage qui n’avait plus rien d’humain, tant il était tuméfié.
Niveau de satisfaction :
(3,9 / 5)