Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2021 (Albin Michel)
Genres : Thriller, noir
Personnage principal : Mathilde Perrin, tueuse à gages
Ce roman, écrit en 1985, croupissait dans les tiroirs de Lemaitre. Il vient de décider de le livrer à son public. Heureuse initiative !
Mathilde a 63 ans, elle est petite, large et lourde. Ce n’est pas vraiment l’idée qu’on se fait d’une tueuse à gages. Ce qui joue clairement en sa faveur. Revenue à Paris avec Ludo, son dalmatien obéissant, Mathilde arrête sa Renault 25 sur la rue Foch. Elle sort de l’auto, croise un promeneur qui lui sourit, lui tire une balle dans les parties et une autre dans la gorge. Puis, c’est au tour de Constance Manier d’être abattue d’une balle en plein cœur. Mais là c’est une erreur de Mathilde, qui a confondu l’adresse d’une femme de ménage qu’on lui a recommandée avec celle d’une cible indiquée par le commandant ! Un peu plus tard, elle abat la fille Lavergne, mais aussi un témoin hurlant.
Le commandant se rend compte que Mathilde vieillit, qu’elle perd la mémoire et devient négligente; elle ne suit plus les consignes de prudence qui s’imposent dans un métier comme le sien. Elle met ainsi l’organisation en danger. Il serait peut-être temps d’envisager son élimination.
D’un autre côté, le policier René Vassiliev est chargé de l’enquête surtout pour la mort de Maurice Quentin, grand patron français qu’on appelle le président. Mais aussi pour celle de Béatrice Lavergne tuée avec la même arme, un Desert Eagle qui fait beaucoup de dégâts. Vassiliev n’a pas une vie très palpitante : il n’aime pas manger, ne fréquente pas les femmes (les hommes non plus), mène ses enquêtes sans enthousiasme. Son passe-temps notable, c’est la visite qu’il fait deux fois par semaine à Monsieur de la Hosseray, un ancien ami de sa mère décédée, qui semble de plus en plus affecté par les troubles de la mémoire.
Ses entrevues avec Mathilde, qui le prend en grippe, ne nous avancent pas beaucoup dans l’enquête, mais elle semble devenir de plus en plus paranoïaque et souhaite se débarrasser du policier. Deviendra-t-il sa victime avant que le commandant ne lui règle son compte ?
Le jeu de massacre se poursuit et se termine dans une finale inattendue et définitive.
Un roman qu’il faut lire avec un sourire pour profiter du cynisme et des joyeux abus de Lemaitre. Malgré la profusion des morts, l’écriture est très vivante, et c’est avec un grand plaisir qu’on participe à l’accumulation des cadavres.
Extrait :
Pour la vingtième fois depuis qu’elle est arrivée sur l’autoroute, Mathilde parcourt mentalement le trajet jusqu’à l’avenue Foch. En ligne droite, elle serait à moins de quinze minutes, mais il reste le tunnel de Saint-Cloud, cette plaie… Du coup, elle en veut à la terre entière et surtout à sa fille qui n’y est pour rien, mais Mathilde ne s’arrête pas à ce genre de considération. Chaque fois qu’elle arrive chez elle, elle est anéantie par le spectacle de cette maison de campagne qui empeste la bourgeoisie étriquée et se caricature elle-même. Son gendre revient du tennis en souriant large, une serviette négligemment jetée autour du cou, comme dans une publicité télévisée. Quand sa fille s’occupe du jardin, on dirait Marie-Antoinette au Petit Trianon. C’est une permanente confirmation pour elle, sa fille n’est vraiment pas une lumière, sinon, pourquoi aurait-elle épousé un con pareil… Et américain de surcroît. Mais surtout très con. Bref américain. Heureusement qu’ils n’ont pas d’enfants, elle espère vraiment que sa fille est stérile. Ou lui. N’importe lequel des deux, parce qu’elle n’ose pas imaginer les mômes qu’ils auraient… Des têtes à claques, à tous les coups. Mathilde aime les chiens, mais elle déteste les mômes. Surtout les filles.
Niveau de satisfaction :
(4,3 / 5)