Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2022 – Albin Michel
Genre : roman noir rural
Personnages principaux : Caleb, guérisseur et sourcier – Harry, écrivain à la recherche d’un nouveau souffle
Harry est écrivain. Son premier livre a été un succès, mais il a des difficultés pour en commencer un second. Pour essayer de retrouver l’inspiration, il a décidé de s’installer dans une ferme isolée qu’il a achetée dans l’état sur un coup de tête. Harry ne connaît rien de la campagne, ni des gens qui l’habitent. Son adaptation à son nouvel environnement en plein hiver est difficile. Dans une ferme voisine vivent Caleb et sa mère. Ils se tiennent en marge des autres habitants du coin. Ils ont mauvaise réputation, ce sont des sorciers dit-on. Ils sont craints aussi, car Caleb a le don. Le don de guérir les animaux, celui de trouver l’eau et peut être qu’il est aussi capable de jeter des sorts. Après la mort de sa mère, Caleb continue de vivre dans sa ferme, plus solitaire que jamais. Pour des raisons différentes, Harry et Caleb, vivent dans l’isolement, non loin l’un de l’autre.
Dès le début du roman, Bouysse crée une ambiance particulière. Celle de la solitude de deux hommes, en pleine nature, en plein l’hiver avec la neige tout autour. Caleb y est habitué, c’est son monde, celui qu’il a toujours connu. Sa mère lui a inculqué la méfiance envers les autres, surtout envers les femmes. Alors que pour Harry, homme de la ville, c’est une découverte assez déstabilisante. Dans cette atmosphère particulière, les petites choses de la vie prennent une importante considérable : les repas qu’il faut préparer, le feu qu’il faut entretenir, le silence et les bruits, parfois rassurants, parfois inquiétants. Cette ambiance est favorable à l’apparition d’étranges phénomènes, réels ou imaginaires.
Les esprits trop cartésiens seront sans doute décontenancés par la notion du temps présente dans ce roman. Le temps n’y est pas linéaire : parfois on ne sait pas si telle ou telle scène se situe dans le passé ou le présent. Cela donne l’impression que le temps tourne en boucle. De même on ne sait pas si certains évènements, certaines visions sont du domaine de la réalité ou du rêve. Tout est possible dans ce monde étrange où les fantômes semblent exister vraiment.
Enfin on remarquera la qualité littéraire indéniable de cet ouvrage. On sent que l’auteur accorde beaucoup d’importance à l’écriture qui est à la fois riche et poétique. C’est du beau travail !
L’homme peuplé est un roman virtuose dans lequel l’auteur a réussi à mêler le passé et le présent, mais aussi le réel et l’imaginaire, sans que l’histoire ne devienne incompréhensible ni ne bascule complètement dans le fantastique. Il est servi par une écriture brillante.
Extrait :
En ville, son regard est habitué à buter sur un obstacle de chair, de fer, de béton ou de verre. Là-bas, le ciel est très haut, il faut lever la tête si on veut en découvrir la trame ; ici, il est à hauteur d’homme, peut-être un effet de l’hiver. En ville, les sons, les voix, les cris se conçoivent en bruit ; ici, chacun se distingue des autres sur l’apprêt silencieux. En ville, les arbres ne peuvent rivaliser avec les gratte-ciel, emmaillotés dans leur écorce grise, des mégots à leur pied ; ici s’exprime leur toute-puissance, il n’y a que la distance pour abaisser leur cime, et même foudroyée leur histoire est immense. Ici, les lignes électriques s’érigent en clôtures d’un bestiaire fabuleux, que des oiseaux discrets surveillent comme des chiens de berger.
Niveau de satisfaction :
(4,2 / 5)