Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2021 (Transient Desires)
Date de publication française : 2022 (Calmann-Lévy)
Traduction (américain) : Gabriella Zimmermann
Genre : Enquête
Personnage principal : Commissaire Brunetti
Les polars peuvent être excitants; ils peuvent aussi être reposants. C’est le cas avec les romans de Donna Leon. On suit les déplacements du commissaire Brunetti à travers Venise, on l’observe savourer les soupers de Paola, discuter avec ses ados Chiara et Raffi, lire les classiques latins… Bien sûr, il enquête aussi, mais lentement et sans se prendre pour James Bond.
Le roman précédent (En eaux dangereuses, compte rendu publié ici le 11 mars 2022) m’avait un peu déçu parce que Brunetti semblait avoir pris un coup de vieux, mais c’était peut-être à cause d’un été particulièrement accablant. Dans Les masques éphémères, il est sorti de sa torpeur et s’est remis à lire Tacite. Il enquête sur les blessures infligées à deux jeunes Américaines en vacances, alors qu’elles faisaient une balade dans la lagune avec deux Vénitiens. Pourquoi ces deux gars sont-ils disparus après avoir abandonné les Américaines à l’entrée de l’hôpital ? Aidée et stimulée par la jolie Napolitaine Claudia Griffoni, collègue et amie, Brunetti se retrouve impliqué dans une affaire troublante exploitée par le crime organisé vénitien. La sensibilité du commissaire est mise à rude épreuve dans la mesure où, pour obtenir des informations, il doit faire pression sur les deux jeunes qui ont, à peu près, l’âge de son fils.
La description du contexte géographique est encore importante mais, cette fois-ci, Venise est surtout entrevue des canaux de la ville et de la Giudecca (île principale au sud de Venise). L’enquête s’y déroule lentement, entretien par entretien, ce qui permet de développer en profondeur les personnages principaux. Ce qui permet aussi au lecteur de comprendre les attachements et les antipathies de Brunetti, dont on partage l’intimité plus que d’habitude. On s’ennuie un peu d’Elettra et de Vianello, comme si Donna Leon avait vraiment voulu se concentrer sur le caractère psychologique et moral de son commissaire sans nous distraire par les deux amis attachants de Brunetti.
Le parti pris réaliste de l’auteure se traduit aussi par la finale, en partie cruelle, parce que cette cruauté fait aussi partie de la vie.
Bref, c’est un roman qui incite à une réflexion sur la dureté de l’existence et à une méditation sur la vulnérabilité de la jeunesse.
Extrait :
Brunetti finit par ouvrir le bal en lui demandant :
« Avez-vous vu Marcello ? »
Duso acquiesça.
« Quand ?
– Hier soir. Nous nous sommes vus après son premier jour de retour au travail et nous avons pris un verre ensemble.
– Quelle impression vous a-t-il faite ? »
Duso fixa Brunetti d’un air suspicieux un certain temps. « Pourquoi ce détail vous intéresse-t-il ? » s’enquit-il.
Brunetti ne vit aucune raison de ne pas lui dire la vérité.
« Parce que j’ai un fils qui est un peu plus jeune que vous deux. »
Brunetti fut interrompu par l’arrivée du serveur qui posa leurs boissons devant eux, ajouta de petits bols de cacahuètes et de chips et partit prendre une commande à une autre table.
« Qu’est-ce que cela change ? » s’informa Duso (…)
« Je suppose que cela me rend protecteur.
– De ceux qui sont comme votre fils ?
– Ce serait mentir que confirmer un tel propos. Mais de certains d’entre eux.
– Lesquels ? »
Brunetti ne s’était jamais interrogé sur ce point. Il s’agissait d’une réaction instinctive et impulsive qu’il avait avec certaines personnes, surtout les jeunes, même parmi ceux qu’il arrêtait. Peut-être ressentait-il cet instinct de protection envers les individus qui lui rappelaient la personne qu’il avait été dans sa jeunesse.
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)