Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2015 (Tretya karta)
Date de publication française : 2022 (Éd du Canoë)
Traduction (russe) : Monique Slodzian
Genre : Espionnage
Personnage principal : Max von Sterlitz, espion russe infiltré
Opération Barbarossa est le nom de code correspondant à l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie en 1941. L’Ukraine est au cœur de cette invasion parce que c’est par là qu’il faut passer pour attaquer l’URSS sur bien des fronts simultanément. Or, depuis bien des siècles, l’Ukraine se bat pour son indépendance. L’idée du Fuhrer c’est d’utiliser les mouvements nationalistes de Bandera et de Melnyk pour combattre les Russes au nom de l’indépendance de l’Ukraine pour, dans un deuxième temps, soumettre les Ukrainiens et annexer le pays.
En Europe comme aux Amériques, on ne connaît pas beaucoup Julian Semenov (1931-1993), né et décédé à Moscou, parce que ce n’est pas un écrivain dissident. En 1953, il refuse de signer un document qui condamnait son père pour calomnie du pouvoir soviétique, ce qui limitera ses possibilités dans l’enseignement universitaire et dans le journalisme. Dans les années 60, correspondant à l’étranger pour la Pravda, peut-être aussi informateur pour le KGB, il assiste à la chasse aux nazis et aux dirigeants de la mafia sicilienne, se mêle aux chasseurs de tigres en Asie et aux guérilleros du Laos, parcourt le Japon, l’Afghanistan et le Vietnam. Ces expériences multiples et diversifiées lui serviront dans son œuvre de romancier qui se développe à partir de 1960 et, surtout, de 1968 où il crée l’agent double le Standartenführer SS Von Stierlitz, si réaliste et si populaire que Brejnev voudra le décorer de l’ordre de l’Union soviétique, ignorant qu’il est un personnage de fiction.
C’est ce même von Stierlitz qu’on retrouve dans Opération Barbarossa. Le fait qu’il soit haut placé dans la hiérarchie politique allemande lui permet de se mettre le nez partout où il importe de savoir qui est responsable de quoi, et d’expédier ses informations au KGB. On est loin d’un James Bond. Plus près d’un fonctionnaire, ce pour quoi plusieurs l’ont comparé aux agents secrets créés par John Le Carré. Les romans de Le Carré se lisent quand même plus facilement.
La composition du roman est originale. Semenov joue sur l’alternance entre des considérations générales très détaillées, par exemple les diverses nations qui ont dominé l’Ukraine depuis le XVIIIe siècle, ou encore une étude des relations entre la politique et l’armée, et une série de cas particuliers (l’évolution de certains personnages en 1941), comme l’architecte Hannah Prokoptchuk qui cogne à toutes les portes pour essayer de retourner en Pologne auprès de ses enfants; ou encore le jeune aristocrate allemand Kurt Stramm, détenu pour avoir fait partie d’un mouvement de résistance au nazisme, torturé au point où il envisage le suicide comme son avenir le plus souhaitable; ou encore, Mykola Chapoval, fils naïf d’un paysan ukrainien, séduit et manipulé par le parti nationaliste de Bandera, puis éliminé.
L’idée d’alterner des considérations générales et des cas particuliers n’est pas mauvaise. Elle permet à la fois de comprendre et de sentir. On a souvent l’impression de lire un livre d’histoire; parfois, au contraire, on sympathise avec des cas particuliers. Des commentateurs ont dit que Semenov s’efforçait d’être objectif, et c’est vrai que son agent double n’est pas vu comme un héros. Mais la barbarie des nazis, le sadisme des jeunes disciples qui tuent des enfants avec plaisir, la trahison érigée en culte, l’ambition démesurée et l’obéissance aveugle, bref tous ces éléments tracent une image de l’hitlérisme plus horrible que flatteuse. Et probablement réelle.
Ce n’est pas ça qui a rendu ma lecture difficile. Malgré l’intéressante préface de la traductrice Monique Slodzian et l’indispensable index des personnages principaux du roman, réels et fictifs, j’ai failli laisser tomber le roman à quelques reprises. Bien sûr le grand nombre de personnages au nom allemand ou russe constitue un certain obstacle. Mais j’avais l’impression d’avoir affaire à un professeur compétent dans sa matière mais incapable d’enseigner efficacement : l’effort demandé au lecteur est alors quasi insupportable.
Extrait :
« Embobinez les galopins ukrainiens, recommandait aux SS le Standartenführer Ritche, promettez-leur Kiev comme capitale, la création d’une Ukraine indépendante. Lorsque vous rencontrerez des émigrés cosaques, proposez-leur de constituer un magnifique État du Zaporojie à la Volga : peu importe, lorsque triomphera la grande idée d’une race germanique à l’échelle mondiale, nous déchirerons les accords passés. La Providence nous pardonnera ce mensonge car qu’ils soient biélorusses, ukrainiens ou russes, nous ne trompons que des sous-hommes peuplant des terres très fertiles et possédant des réserves infinies de minerais et de houille. Tout est bon pour arracher l’Ukraine à la Russie. Il faut qu’ils nous croient, c’est tout. Qu’ils fassent tout ce qui sert l’intérêt de la race germanique élue par Dieu. L’Histoire nous pardonnera tout dès lors que nous aurons accompli notre dessein. »
Niveau de satisfaction :
(3,5 / 5)