Domaine Lilium – Michael Blum

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Héliotrope Noir)
Genre :
Noir
Personnage principal :
Dan Katz, professeur (histoire de                              l’architecture), Université McGill

C’est le premier roman de Michael Blum, professeur à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM.

Dan Katz, historien de l’architecture, se rend à Drancy pour étudier la Cité de la Muette. Construite à partir de 1932 dans le but d’être le premier immeuble d’habitation collective à loyer modéré en Île-de-France (1250 logements), elle servit, en fait, comme camp d’internement sous l’occupation nazie, puis comme caserne de gendarmes, enfin comme HLM [1]. Kats écrit un livre sur l’aspect architectural original de La Muette (passage du bois à l’acier, de la brique au béton, de l’homme à la machine), mais aussi sur le rôle politique qu’elle a joué sous l’occupation : internement, humiliations et tortures, expédition vers Auschwitz.

Quand Katz découvre que ses grands-parents ont été enfermés et torturés à La Muette avant d’être envoyés dans ce fameux camp d’extermination, son intérêt pour l’architecture décroît et il décide d’enquêter sur les responsables français des malheurs de ses grands-parents. Les véritables responsables sont décédés, mais leurs descendants continuent à préconiser une politique d’extrême droite en France et envisageraient même de prendre d’assaut les institutions gouvernementales québécoises et de rattacher une partie de la Gaspésie à la France. Le désir de vengeance obsède Kats d’autant plus qu’il est lui-même une cible parfaite pour les nazis ou les partisans de l’extrême droite : Juif, gai, intellectuel de gauche. Avec le soutien d’une de ses étudiantes, Ilana Berkovitz, Katz se lance dans une expédition près de Murdochville sous prétexte d’acheter une maison dans le Domaine Lilium, géré au profit des descendants des tortionnaires. Jonathan Poulin-Paquette, directeur du Domaine, les invite à l’ouverture officielle. Katz et Berkovitz acceptent l’invitation. Et une joyeuse cérémonie se transforme assez vite en affreux cauchemar.

C’est un roman psychologique écrit comme si c’était le journal personnel de Kats, ses désirs, ses craintes, ses rêves, sa solitude. Sa mère et sa sœur vivent en Israël; Kats communique peu avec elles. C’est un universitaire à l’aise dans ses livres mais maladroit avec les gens. Il est content d’habiter au Québec (il dirait plutôt au Canada) et d’échapper ainsi à Israël. En fin de compte, ce qui le définit le mieux c’est le besoin de vengeance qui s’empare de lui jusqu’à l’obsession. C’est sans doute plus compréhensible dans le cas d’un Juif. On peut le suivre jusqu’à un certain point, encore que ses actions excessives relèvent plus du délire d’un être faible et mal adapté que d’un souci d’une juste vengeance : « Le châtiment de l’un était la paix retrouvée et la satisfaction de l’autre; c’était un acte comptable, les recettes devaient compenser les dépenses ». Ce me semble une rationalisation qui ne l’apaisera pas longtemps.

On y croit mal, comme on croit mal aux gestes des écolo-anarchistes, à l’incendie que Kats provoque, au double jeu de Berkovitz, au rôle mystérieux de Nurit, et, finalement, à l’histoire elle-même. Par contre, si on se place d’un point de vue psychologique, le récit nous apparaît alors comme une projection fantasmatique intéressante.

[1] Historiquement authentique.

Extrait :
L’expédition gaspésienne n’était pas une option à considérer parmi d’autres, mais une sorte d’obligation morale. Or, celle-ci se doublait de sentiments moins avouables, mais tout aussi impérieux. Il ne voulait surtout pas être grandiloquent et se méfiait des positions de principe. Mais, factum : il était le seul descendant de Joseph et Colette Katz qui semblait s’être intéressé à eux et ne pouvait fuir cette responsabilité. Il irait en Gaspésie parce qu’il devait rester quelque chose d’un mensch en lui et qu’il avait contracté une dette de mémoire vis-à-vis de son grand-père, de sa grand-mère et de leurs six millions de cousins. Il avait été missionné pour obtenir réparation et il irait recouvrer la dette. Dès qu’il l’eut formulé comme ça, il se sentit soulagé.

Cité de la Muette

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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