Les brouillards noirs – Patrice Gain

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Albin Michel
Genre :
Roman noir
Personnage principal :
Raphaël Chauvet, violoncelliste

Raphaël Chauvet est violoncelliste solo dans l’orchestre national de Lyon. La musique est toute sa vie depuis son fiasco familial : son épouse l’a quitté emmenant sa fille Maude de douze ans. Toutes les deux ont alors complètement disparu de sa vie. Après onze ans sans aucune nouvelle, il reçoit un appel téléphonique de son ex-femme lui annonçant que leur fille n’est pas rentrée des îles Féroé où elle était en vacances et qu’elle est injoignable. Après un moment d’hésitation, Raphaël décide que la meilleure chose à faire est d’aller sur ces îles, puisque Maude y était. Il se rend aux îles Féroé où il est accueilli fraîchement, pas seulement à cause du climat. Pour lui commence alors une longue et difficile quête.

Dans ce roman le cadre est primordial. Les îles Féroé sont balayées par de forts vents, la pluie tombe souvent et les brouillards sont fréquents. Les brouillards noirs sont redoutés par les habitants : ce sont des brumes denses et sombres, venues de la mer. C’est dans ce climat difficile que débarque Raphaël à la recherche de sa fille. C’est d’autant plus difficile pour lui que les habitants sont aussi rudes que le climat : ici on ne respecte pas les conventions internationales de la protection des espèces, on se contrefout des quotas de pêche et de la préservation des ressources marines et on n’aime pas que l’on mette le nez dans ses affaires, surtout quand il s’agit de la pratique du grindadráp. C’est une pêche ancestrale qui consiste à rabattre à l’aide de bateaux des baleines pilotes et des dauphins vers le rivage où des hommes les attendent avec des cordes et des crochets pour les traîner jusqu’au bord pour ensuite les égorger avec de grands couteaux. La mer devient alors rouge de sang. Cette barbarie, légitimée à l’époque par le besoin de nourrir une population, n’est plus justifiée aujourd’hui, la viande étant devenue toxique, trop chargée de métaux lourds. Ne reste que le plaisir de tuer. Ce massacre se perpétue depuis des siècles.

Raphaël va apprendre que sa fille n’était pas en vacances, mais qu’elle faisait partie de l’ONG Ocean Kepper, arrivée sur place pour tenter d’entraver le bon déroulement d’un grindadráp. Il y a eu des échauffourées et depuis on n’a plus revu Maude. Raphaël, qui n’a rien d’un fin limier, va mener sa propre enquête sans pouvoir compter sur les autorités locales qui voient son action comme une ingérence dans leurs affaires. Têtu et tenace, malgré des conditions climatiques difficiles et face à l’hostilité des habitants, il va persister dans sa recherche, d’autant plus qu’il reprend l’espoir de renouer avec l’enfant qu’il pensait avoir définitivement perdu il y a onze ans.

Patrice Gain nous plonge de façon saisissante dans le décor et la culture des îles Féroé tout en développant l’enquête d’un père à la recherche de sa fille. Dans l’austérité et la rudesse de cette quête, il y a quelques rayons de soleil : – Martha, militante aguerrie et efficace – Úlvur, berger très lucide – Neils, l’habitant des îles accueillant, contrairement à ses compatriotes. Très ému, Raphaël va aussi découvrir qu’il n’était pas aussi oublié de sa fille qu’il le pensait.

Les brouillards noirs est un excellent roman noir, à la fois enquête tendue et documentaire édifiant sur les îles Féroé enfermées dans des traditions archaïques, devenues préjudiciables aujourd’hui.

Extrait :
La tradition, Raphaël, c’est la tradition familiale qui a tué cette enfant et mon frère. Je déteste tout ce qui s’y rapporte. Qu’elles soient ethniques ou religieuses, je ne comprends pas cet insupportable besoin de perpétuer quand c’est violent, inutile et moche. Quand je vois des gamins assister aux grindadráps et chevaucher les baleines pilotes égorgées, leur arracher les dents avec un marteau et un tournevis pour s’en faire des colliers, j’ai mal pour eux. Je maudis les parents qui leur offrent un monde bancal et décadent.

J’ai joué une suite pour violoncelle de Bach. La première. Le prélude un peu trop nerveusement, trop haché. C’était le morceau favori de Maude quand elle était enfant. Elle ne s’en lassait jamais.

Suite pour violoncelle n°1 en sol majeur – Prélude – de J-S Bach (par Gautier Capuçon)

Grindadráp aux îles Féroé

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

Ce contenu a été publié dans Français, Remarquable, Roman noir. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.