Les enfants du silence – Lyn Yeowart

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021
(The Silent Listener)
Date de publication française : 2023 – Les presses de la Cité
Traduction (anglais Australie) :
Nathalie Perrony
Genre :
Roman noir
Personnage principal :
Joy Henderson, fille d’un père violent

George Henderson est un citoyen modèle, il est toujours souriant et disponible. Il est membre du conseil paroissial, du comité de la salle polyvalente, joueur de boules anglaises, arbitre assistant de football, présent à toutes les messes et va prier avec ceux qui sont dans la douleur … Bref, George Henderson s’implique dans toutes les activités de la petite ville de Blackhunt et passe pour quelqu’un de bien, un bon chrétien, un pilier de la communauté qui est toujours prêt à aider. Mais chez lui, c’est le pire salaud, un bourreau : il frappe sa femme et inflige de longues séances de coups de ceinture à ses enfants pour le moindre prétexte, ils en ressortent meurtris, en sang et pleins de haine pour leur père. Près de vingt plus tard, sa fille Joy apprend qu’il est mourant, elle revient alors à la ferme où elle a grandi pour « s’occuper » de lui. Elle a bien l’intention de lui faire payer toutes les souffrances qu’il lui a fait subir.

À la seconde où il meurt, la vie jaillit dans la pièce. La première phrase du livre donne le ton de toute l’histoire. Une histoire de maltraitance et de haine. Après avoir commencé par la fin (celle du père violent), l’autrice retrace le parcours de la famille Henderson. Elle le fait à travers trois époques : – de 1942 à 1949 c’est celle où George, d’abord charmant jeune homme, conquiert Gwen qui deviendra son épouse qu’il transformera au fil du temps en une esclave docile et apeurée – de 1960 à 1964 c’est la période où Joy et son frère Mark doivent subir les sévices de leur père – 1983 c’est la libération par la mort du père dans des circonstances troubles. Au fil du récit, l’autrice nous montre les échappatoires utilisées par Joy pour supporter la douleur et l’angoisse, par exemple les judicieux conseils d’une sœur épargnée par la violence du père à cause de son accident (elle est en fauteuil roulant). Son dictionnaire qu’elle écrit en définissant les mots par des images ou des couleurs est aussi un moyen d’oublier, pour un temps, la menace du père. Joy a des anguilles qui grouillent dans son ventre dans les moments de peur et de stress ou, au contraire, elle se sent Chocolat Noir Fourré à la Fraise dans les moments de répit, quand son père est loin. Joy et son frère Mark ont souvent rêvé de tuer leur père, mais ils ne sont pas de taille à s’opposer frontalement à lui. Joy va alors développer une stratégie de résistance sournoise qui se révélera à long terme d’une redoutable efficacité.

À travers la façon de vivre de la famille Henderson, l’autrice nous montre aussi les conditions misérables des fermiers de cette région d’Australie qui doivent économiser sur tout pour s’en sortir. Le contraste entre le mode de vie de la famille de Joy et celui de sa copine Felicity, dont la famille est riche, est saisissant. Alors que chez elle ce n’est que restrictions, austérité, punitions, chez sa copine c’est joie, décontraction, bienveillance. Joy rêve d’avoir la même famille, la même maison que sa copine. Plus tard Joy s’apercevra avec amertume que nombreux étaient ceux qui savaient ce que George imposait à sa famille, mais tous ont gardé le silence et n’ont rien fait pour les protéger.

Dans ce roman noir, il y a aussi des enquêtes. D’abord celle de la disparition de la petite Wendy, la fille de neuf ans des voisins de la famille Henderson. Elle s’est volatilisée un jour et on ne l’a plus revue. L’enquête n’a rien donné. Une autre enquête concerne la mort étrange de George. Suicide ou assassinat ? Le policier Shepherd a son idée, mais pas la moindre preuve. C’est Joy qui a les clés de ces deux affaires. Elle a décidé de faire éclater la vérité. Sa vérité.

Les enfants du silence est un roman noir dense et bien construit. Les personnages sont attachants pour certains, détestables pour d’autres. L’intrigue est prenante. C’est un premier roman réussi.

Extrait :
— Ils diront qu’il ne supportait plus ses souffrances physiques. Et il souffrait beaucoup, c’est vrai. Mais, s’il s’est tué, c’est parce que je refusais de le faire pour lui.
— Comment ça ?
— Il m’a demandé de lui donner tous ses cachets d’un coup. J’ai refusé. J’avais décidé de ne plus obéir à ses ordres. « Sers-moi un verre de Passiona. » « Laisse le thé infuser plus longtemps. » « Jette le chaton dans l’étang. » « Tiens-toi tranquille sur ta chaise. » « Tais-toi. » « Demande pardon. » Bon sang, vous n’avez pas idée de l’effet que ça produit sur un enfant ! Le tout couronné par ses coups de ceinture. Je n’oublierai jamais ce qu’il nous a fait… à nous, ses enfants… et je ne lui pardonnerai jamais. Ni oubli ni pardon. C’est ma devise.
Shepherd eut l’impression de se prendre du vitriol en plein visage.
— Vous avez au moins raison sur un point : oui, j’avais envie de le tuer…

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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