Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2012 (Mon Petit Éditeur)
Genre : Procédure policière
Personnage principal : Commissaire Dezuiver
Quand on rend compte d’un roman publié dans une grande maison d’édition, un processus de filtrage a déjà eu lieu et on risque moins de tomber sur un os. Ça ne signifie pourtant pas que ce qui se publie à compte d’auteur, d’éditeur, ou dans une maison peu connue sera nécessairement de piètre qualité. C’est un des devoirs du chroniqueur de jeter un œil de ce côté de temps en temps. C’est d’ailleurs un fantasme du chroniqueur de découvrir l’auteur du siècle, disons de l’année. Au pire, on s’arrête après 20 pages. Mais on peut aussi détecter de réels talents. Irène Chauvy, par exemple, (La Vengeance volée, Les Nouveaux auteurs et Prisma, 2011), dont j’attends toujours la suite des aventures du capitaine Allonfleur. Cette fois-ci, un auteur du nord de la France (Maubeuge, puis aux environs de Lille), aux ancêtres maternels flamands et wallons du côté paternel, Alain Fabre.
C’est la première publication des enquêtes du commissaire Dezuiver (en flamand : le juste), et la deuxième enquête suivra en 2013. Patrick Van Meulen est sorti récemment de prison où il a fait 6 ans pour viol, accusé par les deux filles de 12 et 14 ans de sa femme qui, comme tout le monde, a accordé foi à ses filles car, selon les spécialistes, à cet âge-là on ne ment pas sur des affaires pareilles. Il a perdu sa femme, son travail, ses amis, sa réputation. Il s’adresse à Dezuiver pour qu’on le réhabilite.
Malheureusement, l’ex-femme de Patrick, Gilberte, et une jeune fille, Aurélie, sont retrouvées étranglées à quelques mètres de distance; or, un témoin affirme que, peu avant, une engueulade s’est produite entre Van Meulen et son ex. En réalité, d’autres suspects existent également : ça pourrait bien être Louis Van Neff, le nouveau mari de Gilberte, qui s’est trouvé une nouvelle âme-sœur mais qui a un solide alibi. Ou Bertrand Dumier, le voyeur-photographe qui avait déjà Aurélie dans sa mire et dont les activités pornographiques occupent l’essentiel de son temps. Peut-être aussi Joseph Dubois, harcelé sexuellement par Gilberte qui l’avait faussement dénoncé pour vol, causant ainsi sa perte d’emploi et sa dépression; il avait juré se venger. Ou encore Hervé Lechâtel que Gilberte faisait chanter en utilisant une photo très compromettante; or, Hervé tient à son job et à sa femme.
Dezuiver et son équipe (la jolie Karine, le léger Dujardin, l’astucieux Benzaïr, le débrouillard Baudouin, un Belge qui se familiarise avec la police française pour faciliter les enquêtes franco-belges fréquentes dans le nord du pays) s’efforcent donc d’éclaircir ces deux meurtres et de disculper Van Meulen des accusations qui l’avaient envoyé à l’ombre, ce qui n’est pas du tout cuit, étant donné que la terrifiante Juge Duvivier qui est responsable de l’enquête actuelle est aussi celle qui avait fait condamner Van Meulen. On interroge les témoins et l’entourage des suspects, les indices s’accumulent et sont analysés, et tranquillement le nœud se resserre. Certaines astuces juridiques ( un domaine que connaît bien l’auteur qui a été professeur de Droit) permettront à Dezuiver de tendre des pièges, quitte à mettre sa vie en danger.
On reconnaît, sans doute, la structure classique du polar d’enquête. Mais la toile de fond, c’est la région de Lille, les expressions ch’tis, la rigueur climatique du mois de mars, la gastronomie franco-belge (la mitraillette au pâté, le matoufé), les relations interpersonnelles moins stressantes qu’à Paris. Les rapports entre le commissaire et ses collaborateurs sont plus amicaux que hiérarchisés; Dezuiver et Baudouin, par exemple, iront discuter de l’affaire au Bar à Tintin autour d’une moussaka. Tous ces éléments constituent plus qu’un décor; ils définissent la texture même du récit. Fabre n’a pas seulement imaginé ce cas assez fréquent de fausses accusations portées par des enfants au détriment d’un adulte; ce qui donne beaucoup de saveurs à son récit, assaisonnées d’une touche d’humour, c’est son propre vécu enraciné dans ce terroir franco-belge unique qu’il nous communique et qui subsiste quand tout le reste est passé. Comme ces arrondissements parisiens mémorables où Léo Malet a semé tant de crimes. Il puise aussi, enfin, dans son expérience d’homme pour doter ses principaux personnages d’une épaisseur psychologique qui les rend crédibles, n’hésitant pas, par exemple, à briser le rythme de l’enquête pour illustrer la vulnérabilité du commissaire quand il rend visite à sa mère victime de la maladie d’Alzheimer. Loin des polars américains qui carburent aux amphétamines, on se sent ici plus près de Simenon.
Un polar à contre-courant? Peut-être. Mais un courant d’air frais.
Excellent !!!!
J’apprécie vos commentaires sous forme de références, Ray et Alain; j’aime bien qu’un roman ou un article entr’ouvre d’autres portes plutôt que de s’évaporer une fois qu’on l’a terminé.
Merci pour cet article très aimable. En tant qu’auteur, il est toujours encourageant de recevoir ce genre de commentaire.
En ce qui concerne les films, il y a celui d’André Cayatte : « Les risques du métier » qui est excellent bien qu’ancien, avec un Brel remarquable.
http://www.ina.fr/art-et-culture/cinema/video/CAF89008046/jacques-brel-et-andre-cayatte.fr.html
Bonne journée
Alain
Salut Michel,
Sur le même thème: les enfants ne sauraient mentir, il y a un très bon film La chasse de Thomas VINTERBERG que je recommande tout comme le livre dont tu parles ici.
http://www.cinemas-utopia.org/toulouse/index.php?id=1786&mode=film