Le justicier d’Athènes – Petros Markaris

Par Michel Dufour

lejusticierdathenesDate de publication originale : 2011 (Pereosi)markaris
Date de publication française : 2012 (Seuil)
Genres : Enquête, procédure policière
Personnage principal : Commissaire Kostas Charitos

La Grèce est un immense asile de fous.
Constantin Caramanlis

En novembre 2013, après avoir rendu compte du premier roman de la trilogie de Markaris dédiée à la difficile situation économique de la Grèce actuelle, Liquidations à la grecque, j’avais promis de revenir : Le justicier d’Athènes est le deuxième de cette trilogie. Je craignais un peu de m’y aventurer, parce que les trois romans traitent un peu du même sujet : dans le premier, un assassin, qui devient très populaire, décapite les banquiers, les hedge fund managers, les dirigeants d’agence de notation et les agents de recouvrement. Dans ce deuxième, un tueur cible les fraudeurs et les incite à payer à l’État ce qu’ils lui doivent, sans quoi ils seront exécutés. Et c’est la même équipe autour du commissaire Charitos qui sera chargée d’appréhender le tueur, même si les ministres auront parfois l’impression que ça créerait un plus gros problème d’arrêter le percepteur national : jamais, en effet, les fraudeurs n’ont autant payé leurs impôts, et la population s’en réjouit. Y compris Adriani, l’épouse du commissaire.

La thématique est donc un peu semblable; l’enquête aussi : lente, méthodique, sans éclat, ne négligeant pas les détails, et profitant de témoins bienvenus et d’heureux hasards. On sillonne les rues d’Athènes, souvent embouteillées par des grèves ou des protestations de toutes sortes (avec une carte de la ville, on suit sans trop de mal les déplacements du commissaire). Et surtout, on nous amène à comprendre au quotidien les effets sociaux dévastateurs de l’étranglement grec par les institutions financières européennes : des jeunes diplômés, ceux dont on dit, ailleurs, qu’ils ont la vie devant eux, se suicident sur le Parthénon, faute d’avenir. Des vieux aussi, moins parce qu’ils n’ont pas d’avenir que parce qu’ils n’ont pas de présent. Des ménages se séparent ou un membre du couple s’exile, comme le souhaite la fille de Charitos, Katérina, pourtant médecin, qui veut accepter un poste en Ouganda ou au Sénégal. Charitos l’aidera peut-être comme il le fait déjà s’il a une promotion, mais son salaire risque plutôt de subir une coupe comme dans le cas de la plupart des fonctionnaires. Enfin, Charitos reste égal à lui-même : il se définit comme : «lent, ringard et chiant» !

Bref, ce n’est pas un thriller. On lit un peu Markaris comme on lit Donna Leon. Sauf que ce n’est pas la belle et décadente Venise rongée par les nuées de touristes; c’est plutôt la pitoyable Athènes et les citoyens ahuris condamnés à une vie absurde et misérable par les puissances financières. Markaris nous le fait comprendre mieux que bien des traités d’économie. De même qu’il expose encore mieux que notre Commission Charbonneau (mise sur pied au Québec à l’automne 2011 pour étudier l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction) les relations polluées entre les autorités municipales ou gouvernementales et les bureaux d’ingénieurs, les entreprises bien établies, les démarcheurs de toutes espèces, dont les fonctionnaires intermédiaires.

En résumé, ce roman se caractérise par une mise en œuvre des procédures policières dans son ensemble, du simple policier au premier ministre en passant par le ministre de la justice et le chef de police, et faisant appel au légiste, au Bureau des fraudes sur Internet et aux media d’information. Un roman policier traditionnel, pourrait-on dire, sauf que le personnage principal est la Grèce, dont la situation alarmante canalise le talent et stimule l’ardente passion de Petros Markaris.

Extrait :
J’allume la télévision (…)
− Êtes-vous conscient du tort que cela cause à l’État et au pays ? demande la présentatrice au vice-ministre. Depuis des années, les ministres des Finances de tous les gouvernements, sans exception, jurent qu’ils vont écraser la fraude fiscale et punir les fraudeurs. En fait, la fraude est florissante et les fraudeurs se promènent librement. Et voilà qu’apparaît soudain, sorti de nulle part, un assassin qui fait votre travail : punir ceux qui fraudent.
− Il s’agit d’un malade mental, répond le vice-ministre.
− Un malade mental vise des personnes ou des groupes sociaux, dit Sotiropoulos, assis à côté de la présentatrice. Il ne mène pas une enquête minutieuse pour découvrir les fraudeurs et dévoiler leurs agissements en détail.
− Et le simple citoyen, monsieur le ministre, que doit-il penser ? demande la présentatrice. Et nos créanciers de l’Union européenne ? Que l’État est incapable de repérer les fraudeurs et qu’un homme seul y parvient ? Les citoyens ne vont-ils pas se demander demain si l’État n’aurait pas besoin d’un assassin pour collecter les impôts et cesser de pourchasser seulement les gens honnêtes qui paient ?
− D’abord, il n’est pas avéré que les victimes soient des fraudeurs, répond le vice-ministre.
− C’est vous qui le dites, rétorque Sotiropoulos. Voyons ce que dit l’assassin.
Et l’on voit se dérouler sur l’écran les deux lettres.
« C’était donc ça, me dis-je. Ça va chauffer pour nous. »
Je zappe et constate que les chaînes privées traitent le même sujet. Seule la chaîne d’État parle d’autre chose.
− Sans blague ! fait Adriani. Il y a quelqu’un qui tue les fraudeurs fiscaux ?
Je hoche la tête sans répondre, absorbé que je suis par l’écran.
− Et c’est toi qui es chargé de l’arrêter ?
− Que veux-tu que je fasse d’autre ?
− Arrête-le, c’est ton boulot, d’accord. Mais laisse-le en liberté encore un peu, que les fraudeurs commencent à payer, ça vous évitera des réductions de salaire.

Ma note : 4 out of 5 stars (4 / 5) lejusticierdathenes-amb

 

 

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