Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2015 (Flammarion)
Genre : Enquête policière
Personnage principal : Jean-Baptiste Adamsberg, commissaire de police
Une vague de faux suicides, de vrais assassinats, touchent plusieurs personnes qui ont vécu un séjour dramatique en Islande. Le commissaire Adamsberg et son équipe sont mis sur ce coup. Une autre piste amène les policiers à s’intéresser à un étrange groupe : l’Association d’Études des Écrits de Maximilien Robespierre. Les membres de cette association jouent des jeux de rôles reconstituant les séances de l’Assemblée nationale pendant la Convention. Le clou de ces séances est l’apparition de Robespierre, plus vrai que nature. Il se trouve que les victimes étaient aussi affiliées à l’association. Adamsberg et son équipe vont suivre alternativement ces deux pistes, le voyage en Islande et les amis de Robespierre, pour découvrir qui trucide allègrement les participants en laissant un mystérieux signe près des victimes.
L’intrigue est basée sur deux idées distinctes : un voyage en Islande qui a mal tourné et une association qui joue à reconstituer les séances de l’Assemblée nationale sous Robespierre. J’ai eu l’impression que Vargas avait deux mots qui lui tournaient dans la tête : Islande et Robespierre et qu’elle s’est efforcée de bâtir un scénario cohérent à partir de cela. Ce n’est pas facile de relier Robespierre et l’Islande mais avec Adamsberg tout est possible ! En effet il faut un personnage principal aussi fantasque que notre commissaire pour faire ce rapprochement osé.
Adamsberg, en effet, est un intuitif qui déroute tout le monde avec sa façon de mener une enquête, y compris les membres de son équipe. Certains le comprennent si peu qu’ils vont entrer en rébellion contre lui. L’équipe va se scinder en deux : les « croyants » qui lui font confiance et les « positivistes » qui contestent ses décisions. Il faut bien dire que ce n’est pas évident de suivre le cheminement des pensées d’Adamsberg : il décide d’aller en Islande parce que « ça le gratte » ou qu’il est « appelé » par l’afturganga, une créature imaginaire de légende islandaise. Esprits cartésiens, passez votre chemin ! Mais c’est ce qui fait le charme d’Adamsberg. On le sait les romans de Vargas ont toujours une touche de fantastique, cela ne me gêne pas. En revanche, sans être un intégriste de la crédibilité à tout prix, je trouve qu’il y a dans ce roman tant d’accros à la vraisemblance que ça en devient agaçant. Sur l’Islande et sur Robespierre, l’auteur s’est renseignée, je n’ai rien à redire. Par contre une enquête policière qui se déroule entièrement selon la fantaisie du commissaire sans rendre compte à personne, ni à sa hiérarchie inexistante, ni à un quelconque magistrat, ni même à la plupart des membres de sa brigade, c’est quand même bien étonnant. D’autant plus étonnant qu’Adamsberg bénéficie de ressources quasi-illimitées à sa disposition : 23 agents totalement dédiés à l’affaire Robespierre ! Beaucoup d’officiers de police devraient envier l’artiste Adamsberg à qui on fournit des ressources sans compter. Adamsberg, sa petite entreprise ne connaît pas la crise ! Et puis il y a cette façon de s’échapper, sans aucune contrainte, au fin fond de la campagne ou en Islande, en emmenant ses chouchous (Retancourt et Veyrenc), quand « ça le gratte » ou qu’il a une prémonition, c’est vraiment la police libre ! Ils en rêvaient, Vargas l’a fait ! On a aussi l’impression que dans la police, les gens n’ont rien à faire tant que le chef inspiré n’a pas encore été touché par la lumière divine. Le commissaire Adamsberg évolue dans un monde étrange qui n’est pas le nôtre.
Le côté imprévisible et inspiré d’Adamsberg ne me dérange pas, pas plus que les évènements insolites et mystérieux ne me perturbent, mais qu’un personnage principal qui est commissaire, se conduise comme un artiste extravagant, ça passe plus difficilement chez moi. Je verrais mieux Adamsberg dans un rôle de consultant free lance plutôt qu’en haut fonctionnaire responsable d’une brigade de police, mais je ne suis pas Vargas.
Vargas a toujours autant d’imagination. Le commissaire Adamsberg est toujours aussi intuitif et déroutant. Son équipe est attrayante dans sa diversité. Temps glaciaires est un livre qui a un côté décalé et loufoque. C’est agréable et divertissant, cela se lit facilement sans autre ambition que de passer un agréable moment, si on ne s’attache pas trop à la vraisemblance.
Extrait :
L’afturganga. Et étonnamment, en pensant à la créature de l’île, la description de Robespierre lui revint par fragments : … un reptile qui se dresse, avec un regard effroyablement gracieux… qu’on ne s’y trompe pas… c’est une pitié douloureuse, mêlée de terreur. Les images se brouillaient, Robespierre se muait en l’afturganga de la Révolution, celui qui tue et qui donne, à condition qu’on ne cherche pas à le connaître, à condition qu’on ne pénètre pas sur son territoire sacré.
Suite à cette chronique un autre ressenti concernant le roman précédent de Vargas : L’armée furieuse.
Chronique publiée en août 2011 sur Le Club des Polarophiles Québécois.
L’armée Furieuse
Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2011 (Viviane Hamy, coll. Chemins nocturnes)
Genres : thriller, enquêtes policières
Personnage principal : Commissaire Adamsberg, Paris
Pas facile de résumer un Vargas. Même si l’histoire de l’Armée furieuse constitue l’essentiel du roman, le millionnaire incendié dans son automobile ne correspond pas seulement à un aspect marginal, pas plus que le sadique qui a attaché les pattes d’un pigeon ou le bonhomme qui a probablement étouffé sa femme. Et les descriptions récurrentes de l’érudit Danglard, du poète manqué Veyrenc, de l’impressionnante Retancourt ou de l’inimitable Adamsberg ne sont pas simplifiables non plus. La plupart du temps, nous saisissons le profil d’un personnage à partir de l’effet qu’il produit sur autrui. Si ça semble parler beaucoup, les images n’en défilent pas moins à toute vitesse et nous titillent sans cesse l’esprit et la sensibilité. On est donc loin de se perdre en introspections moroses et en cours de psycho pour les nuls.
Comme Vargas avait confié au Devoir : Je veux décrire la vie non pas telle qu’elle est, mais telle qu’on peut la rêver (novembre 2002). D’où le fait de se séparer radicalement des best-sellers américains ou des romans noirs ou cauchemardesques. Un rêve comprend sa part de possible improbable (la mémoire de Danglard, les intuitions d’Adamsberg) et se termine, en général, en nous faisant du bien à l’âme, même si certains héros peuvent passer sous un train. Mais, même si le lecteur est happé par le sujet, il dort bien (mais pas longtemps) et évite le stress en se laissant dériver dans les méandres mystérieux du commissaire; mystérieux d’ailleurs même pour son administration, ce qui augmente la sympathie du lecteur pour Adamsberg qu’on ne peut pas confondre avec un fonctionnaire ordonné et méthodique, encore moins un rond de cuir.
On se retrouve donc dans un univers étrange, qu’on reconnaît mais pas tout à fait, et où se passent des événements compréhensibles mais pas évidents. Un univers toujours un peu inquiétant; Vargas aime bien flirter avec l’insolite, les vieilles légendes, les êtres incertains, loups-garous, vampires, morts-vivants; mais ça reste des histoires, ça fait partie du décor, ça donne des couleurs, des odeurs, des saveurs à l’ensemble (ici un petit village du Calvados) et du piquant à l’intrigue, sans jamais sombrer pour vrai dans un Stephen King.
Enfin, l’auteure est servie par une superbe écriture, quasi-poétique, et un sens de la composition (tous ces petits bouts qu’elle semblait avoir oubliés en cours de route et qui se retrouvent jusqu’à la dernière page) qu’elle n’a à envier à personne. Le plaisir que j’ai eu à traverser ce roman tient à une richesse de contenu et à une élégance formelle que je n’avais pas rencontrées depuis longtemps. J’aurais presque souhaité ne jamais en sortir.
Ce n’est pas un univers qui va plaire à tous. Et mes relations avec Vargas ont déjà été moins confortables. Mais ce roman-ci n’en reste pas moins, et j’ose le dire parce que je ne le dis pas souvent, un pur chef-d’œuvre. Et c’est vrai que, comme le souhaite Vargas, on se sent bien après l’avoir lu; on se sent aussi meilleur et presque plus intelligent.
Ma note : (5 / 5)