Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2013 (Éditions de La courte échelle)
Genres : roman noir, fiction
Personnages principaux : Franck, Rosa
André Marois est né dans la région parisienne, mais il a élu domicile au Québec en 1992, et on n’a pas voulu le laisser repartir. Chroniqueur et scénariste, il a publié une trentaine de livres : des recueils de nouvelles souvent noires, des romans policiers pour les jeunes, des romans noirs pour adultes (deux fois finaliste au Prix Saint-Pacôme, 2003 et 2010). Son roman précédent, Sa propre mort (2010), a été apprécié par les critiques. La Fonction est son septième roman pour adulte.
L’action se passe aujourd’hui et maintenant dans un monde comme le nôtre, à un détail près : chaque être humain est doté d’une fonction particulière, biologiquement intégrée, que chacun peut utiliser une seule fois, et qui permet d’effacer la dernière minute qui vient de se passer et de reprendre le parcours du temps. Dans le cas, par exemple, où on rate un penalty au soccer, on peut reprendre son coup. Les gens l’utilisent habituellement pour un événement plus grave : l’accident d’un enfant, la mort d’un être cher, un geste violent aux conséquences désastreuses …
Marois met en scène plusieurs personnages qui vont utiliser leur fonction et en subir les conséquences : le couple bancal formé de Joyce et Franck, la belle et un peu nounoune Rosa, le méchant Bob; plusieurs autres raconteront leur expérience au Club des Fonctionnalistes, où leur besoin d’avouer (pour effacer leur culpabilité) s’exprime à travers plusieurs récits mensongers (pour qu’on ne puisse pas déceler leur crime véritable).
A travers ces récits, inachevés et inachevables, en pièces détachées, l’auteur veut probablement montrer que la culpabilité est tenace, que souvent en visant le bien on fait le mal, que l’être humain est fragile et plutôt pitoyable. Plusieurs commentateurs ont souligné que c’est un roman, fort bien écrit, qui donne à penser. D’autant plus que chaque court chapitre est précédé d’une citation de Vian, Gainsbourg, Renaud …
Pour ma part, il me semble qu’il convient de suggérer au lecteur d’entrer dans Marois par une autre œuvre.
Tenace culpabilité
– Je suis une sorte d’égoïste, dit Rosa. J’agis pour moi, pour me sentir mieux. Et quand je vous vois, je suis heureuse. C’est beau. Nous allons vous laisser maintenant. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi. Elle griffonna son numéro de téléphone sur un prospectus, se leva, embrassa les enfants, serra madame Mylène dans ses bras et quitta le logement. Franck salua d’un geste gêné, et la suivit dehors. Lorsqu’ils se retrouvèrent sur le trottoir, Rosa se réfugia contre sa poitrine où elle fondit en larmes.
– Ça va?
– Oh, je suis comblée.
Franck était presque jaloux de cette petite phrase.
– Et maintenant, Rosa?
– Je ne sais pas et je m’en fous.
– Toi, tu t’en fous?
– Au moins pendant une heure.
Elle ne pouvait plus s’arrêter de pleurer.
– Où as-tu trouvé cet argent, Rosa? Qui te l’a donné? Comment?
– Plus tard, je te raconterai plus tard. Ne gâche pas cet instant. Il ne se reproduira pas.
Ils marchèrenten silence et, soudain, ce fut au tour de Franck d’éclater en sanglots.