Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2012 (Baleine)
Genre : polar humoristique
Personnages principaux : Arthur Saint-Doth et Lazare Gauthier, ex-policiers reconvertis en vignerons – David Nakache, meneur d’un groupe d’activistes philosophiques
Arthur Saint-Doth ex-flic des services spéciaux s’est reconverti en vigneron. Il vivait, tranquille, au cœur de la Touraine avec sa famille : sa femme et ses deux jumeaux. Mais une nuit, sa maison est attaquée au bazooka. Elle est complètement détruite, sa compagne et ses enfants sont tués. Arthur, grâce à ses réflexes d’ancien policier, s’en sort et règle leur compte aux assaillants. Mais il sait qu’ils n’étaient pas là de leur propre chef, ils ont été envoyés. A une époque où Arthur et son copain Lazare étaient flics, ils avaient démantelé une organisation d’étudiants en philosophie complètement barjos qui massacraient leurs professeurs sous prétexte de désaccords conceptuels et pédagogiques. C’étaient des disciples de Heidegger[1]. Des années après ils étaient revenus et avaient pulvérisé la maison d’Arthur et ses habitants. Arthur et son ami Lazare Gauthier se rendent à Paris pour faire payer les commanditaires. Là, ils rencontrent, un allié de circonstance : David Nakache, surnommé Le Prince, un meneur de l’ancienne organisation de terroristes intellectuels. Il lutte aussi contre les Heideggériens[2] qui déshonorent leur cause en massacrant sans but et sans raison en préparant une guerre civile. David, lui, est un disciple de Machiavel alors qu’Arthur est Kantien et Lazare Rabelaisien. L’affrontement final entre les deux blocs, les Heideggériens et les autres, est hallucinant, avec utilisation d’armes lourdes, sous un déluge de balles de gros calibres et d’explosions de grenades. D’où le sous-titre du roman : Comment philosopher à coups de Desert Eagle[3].
Ce bouquin fait immanquablement penser à celui de Jean-Bernard Pouy Spinoza encule Hegel : un récit complètement déjanté, bourré de références philosophiques, dans un chaos total provoqué par l’opposition de concepts philosophiques qui se règlent à l’arme lourde. Même s’il y a eu un prédécesseur célèbre, le roman de Gourio est original par son thème et le style de l’auteur : juxtaposition de phrases courtes et percutantes. Bien sûr il ne faut pas s’attacher à la vraisemblance de l’histoire : qui pourrait croire aujourd’hui que les gens se massacrent au nom de concepts philosophiques différents ? Passé l’étonnement du début, dû au sujet et au style, je dois avouer que j’ai ensuite un peu patiné dans la guerre des gangs des philosophes flingueurs. L’affrontement final fait penser à un jeu vidéo : les protagonistes défouraillent à tout va, dans l’exaltation et d’allégresse, comme s’il n’y avait aucun danger ou comme s’ils s’en foutaient de se prendre une balle en pleine tête. Et dire que ces mecs sont des philosophes ! Des extraits des paroles des chansons de James Hetfield, le chanteur de Metallica, émaillent le récit. Elles sont en anglais et non traduites, comme si la terre entière comprenait l’anglais (l’anglais est moins parlé que le Mandarin par exemple). Elles n’apportent pas grand-chose si ce n’est d’informer que Gourio aime Metallica.
On ne peut pas dire, à la lecture de ce bouquin, que la philosophie est la voie qui mène à la sagesse. Peut être que c’est pour l’auteur une façon humoristique de se venger de ses trois échecs à l’agrégation de philo ? Un bon point pour lui : il ne se prend pas au sérieux. Le crépuscule des guignols est un livre pour amateurs de polars insolites.
[1] Martin Heidegger, est un philosophe allemand important et original mais aussi l’un des plus controversés, notamment à cause de son attitude durant la période 1933-1934 durant laquelle il fut recteur de l’université de Fribourg et adhérent au parti nazi, le NSDAP dont il s’est néanmoins éloigné par la suite.
[2] Disciples de Heidegger.
[3] Le Desert Eagle est un pistolet semi-automatique à forte puissance de feu.
Extrait :
— Je me souviens avoir lu votre nom dans un rapport provenant de Nice.
— C’est possible.
— Les dix tonnes de Critique de la raison pure déversées sur le parvis de l’Éducation nationale, il y a dix ans, au moment de la restriction des postes d’enseignants en philo, c’était vous, n’est-ce pas ?
— Personne n’est jamais parvenu à le prouver. Le kantien redevint froid.
— Ce qui n’empêche pas que vous soyez recherché pour vol et séquestration.
— On le dit, mais je ne crois pas que vous soyez venus pour ça. Et je ne crois pas non plus que vous vous soyez présentés, ce qui aurait été la moindre des courtoisies.
Entre mes oreilles résonnait la voix de James Hetfield, elle aussi oubliée depuis longtemps.
Make his fight on the hill in the early day
Constant chill deep inside
Shouting gun, on they run through the endless grey
On they fight, for they are right, but who’s to say ?
Metallica – For Whom the Bell Tolls
Les éditions baleine ont été une découverte pour moi, et je suis content de savoir que vous appréciez… Disons celui-ci, moyennement.
Je suis sur « captain fuck » …
Il y a une perle chez baleine : Natural Ennemies de Julius Horwitz. Une approche originale d’une journée qui serait la dernière envisagée d’une éditeur. Une variation très philosophique et brute.
Merci pour cette chronique qui m’ouvre encore des horizons de lecture insolites.
Pile ce que je préfère.
A bientôt
Heureux que ce blog puisse vous être un peu utile. Merci pour votre commentaire et pour vos suggestions.
« Qui pourrait croire aujourd’hui que les gens se massacrent au nom de concepts philosophiques différents » – Moi ! – c’est bien ce qu’ il se passe continuellement dans le monde non ?
Mais j’ai retenu le sens de cette guéguerre. 🙂
Merci pour cet avis bien écrit.
Je pense que les conceptions de vie différentes ne sont que prétextes aux massacres, une façon de les justifier. Mais derrière on trouve toujours l’argent où le pouvoir. Souvent les deux.
Merci Fabe pour ton commentaire.