Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2013 (Série noire Gallimard)
Genres : Roman noir, Anticipation, politique-fiction
Personnages principaux : Patrick, rescapé d’un accident de la route – Julien, adolescent vivant dans une résidence sécurisée – Durantal, capitaine de police obèse
Patrick a eu un accident de la route. Lui en est sorti indemne alors que sa femme a été tuée. On ne sait pas ce qui s’est réellement passé ni la cause de la sortie de route. Cet accident attire l’attention de beaucoup de gens car en ce moment un snipeur flingue les conducteurs noirs et les arabes sur l’autoroute. Mais là les victimes sont des blancs . Deux arabes seraient impliqués d’après le témoignage de Patrick. Le capitaine Durantal, gros flic obèse mais futé, est chargé de l’enquête sur le sniper. C’est lui aussi qui doit clarifier les circonstances de l’accident de Patrick. Il est assisté par le lieutenant Alice Camilieri, une jeune femme ambitieuse, qui s’est acoquinée avec l’équipe du maire, en pleine préparation de sa réélection. Alice sert de taupe en remontant toutes les informations concernant les enquêtes à l’équipe municipale, qui loin de souhaiter le dénouement de l’affaire du sniper, préfère que les tensions entre communautés s’exacerbent, cela sert le credo sécuritaire du maire. L’agitation sociale lui permet de surfer sur la peur et de se positionner en défenseur de l’ordre, ce qu’il espère favorisera sa réélection. Son équipe manipule Patrick, par l’intermédiaire de la policière Alice, en le poussant à assouvir sa vengeance.
Ceux qui sont à l’abri de l’agitation communautaire, ce sont les résidents des gated communities, ces enclaves fermées, clôturées, avec caméras, systèmes d’alarme et service de sécurité privé. La résidence des Hauts Lacs est une de ces places fortes habitée par des gens triés sur le volet, des riches, le gratin de la société. La Résidence des Hauts Lacs est dirigée par le Révérend, personnage austère, très fier de son domaine. Par contre son fils, Julien ne s’épanouit pas dans ce cadre pourtant idyllique. Entre son père, froid comme la banquise, sa mère, inerte et gavée de médicaments et sa copine qui va s’envoyer en l’air avec un arabe, il déprime. Son meilleur souvenir d’enfance est un pique-nique à l’extérieur de la résidence sécurisée, au parc municipal, où il avait joué avec une petite fille qui avait un ballon rouge. Sa famille et la résidence lui procurent tout le bien être matériel qu’on peut désirer mais pas le peu d’amour auquel il aspire désespérément.
Dans ce roman, situé dans un avenir proche, Antoine Chainas nous montre une possible évolution de la société, une dérive qui permettrait aux nantis de se retrancher dans un univers tout confort, parfaitement sécurisé, à l’abri de toute pollution extérieure. Il met en évidence que cet environnement aseptisé et déshumanisé n’apporte pas le bonheur espéré, au contraire il n’engendre qu’un climat délétère fait de méfiance, de soupçon, de peur du voisin et de hantise de perdre son statut de privilégié.
Le style est léché, sophistiqué. Un peu trop inutilement savant par moments : « Une brise fraîche, portée par une masse d’air maritime dans la troposphère, leur apportait un soulagement ponctuel via les corpuscules de Meissner du derme papillaire.» ou encore « Plus tard, les molécules de kéta accrochées en grappes fructifières aux récepteurs OP1 et OP3 de son cortex, Julien aperçut une nouvelle fois Amandine. » Ce n’est pas un peu ampoulé pour dire des choses aussi simples que la brise les rafraîchissait et Julien aperçut Amandine ? Dans le même ordre d’idée : chaque partie du livre, il y en a trois, porte un nom en grec ancien : Moïra, Hybris et Némésis. Cela est en relation avec le texte bien sûr mais cette relation n’est pas si évidente pour le lecteur moyen bien moins savant que Chainas. On peut aussi s’interroger sur le sens du sibyllin titre « Pur » : sang pur, sans métissage ? En référence à des théories utilisées par les nazis ?
Malgré ces effets de virtuosité superflue dans l’écriture et un étalage de culture inutile, le roman est quand même intéressant par son côté visionnaire, par la dénonciation des manœuvres politiques utilisant les idées de l’extrême droite et la tentation des nantis de se retrancher dans un monde conforme à leurs aspirations, peuplé que de gens de même haut niveau social, totalement déconnecté de la société ordinaire.
Extrait :
La brochure que François lui avait fournie indiquait : « Le domaine des Hauts Lacs, installé sur le parc naturel, accueille une clientèle triée sur le volet. Avec ses vingt-sept commerces, dont un petit supermarché à taille humaine, le domaine des Hauts Lacs offre à ses habitants l’opportunité d’une vie en parfaite autarcie. Nos systèmes de sécurité alliés à une étanchéité parfaite de l’environnement offrent la garantie certaine d’une valorisation immobilière. » Le domaine sportif n’était pas négligé : terrain de football, piscine olympique couverte en bordure du club-house dont les garden-parties mensuelles étaient très prisées, dix courts de tennis, terrain de volley, gymnase et golf. Une bibliothèque, une crèche, une clinique, ainsi qu’une maison de retraite et deux défibrillateurs en libre accès offraient une contrepartie satisfaisante aux activités physiques proposées. Une salle polyvalente de trois cents mètres carrés était mise à disposition du conseil syndical loi 1865 qui, à la tête d’un budget annuel de trois millions et demi d’euros, définissait les grandes lignes du programme de gestion. L’intégralité des infrastructures demeurait bien entendu privée. L’État et les collectivités se réjouissaient, sans toutefois le proclamer trop fort, de ne pas débourser un centime.
Merci pour cet avis qui me semble plus mitigé que la note que tu lui attribue.
Je me tâtais ; vais-je le lire ou pas ? et voilà que tu ne me convainc qu’à demi ..
Je m’efforce toujours de faire ressortir les points forts mais aussi les faiblesses d’un livre. Comme nous ne lisons pas que des chefs-d’œuvres, il y a souvent les deux dans un roman. Je ne cherche pas non plus à convaincre les gens d’acheter tel ou tel livre, je ne fais pas partie du service marketing de éditeurs. Je me contente de donner, le plus honnêtement possible, mon ressenti. Comme je paie tous mes livres, contrairement à certains autres chroniqueurs qui les reçoivent gratuitement par Service de Presse, je ne suis pas du tout gêné de parler de ce qui me semble moins bien. Ensuite le lecteur (de la chronique) fait ce qu’il veut, je ne lui dicte aucun choix.
Merci pour ton commentaire.