Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2006
Date de publication française : 2011 (Presses de la Cité)
Genres : Noir, Suspense
Personnage principal : Ewert Grens, commissaire (Stockholm)
Quand Norbert Spehner s’exclame : « C’est un des meilleurs romans policiers publiés cette année! Polar exceptionnel! », on ne peut pas passer à côté. Mais 2011 est-il un bon millésime? Peu importe parce que, depuis le début du siècle, la réputation des deux Suédois Anders Roslund (né en 61) et Börge Hellström (57) n’a cessé de grimper en flèche, raflant les plus grands prix sur leur passage. Leur engagement éthique et politique nous rappelle Sjöwall et Wahlöö (en plus appuyé, en tout cas dans ce roman-ci) et leur sens dramatique a incité quelques critiques à évoquer Mankell. Roslund a été journaliste avant de se consacrer à l’écriture en 2004. Hellström a fondé un organisme responsable de la réinsertion sociale des jeunes criminels, particulièrement la réhabilitation des jeunes drogués, après avoir lui-même connu, comme client, les prisons de Stockholm. Leurs trois premiers romans ont été traduits en français : La Bête (2004; 2009); Box 21 (2005; 2010); L’Honneur d’Edward Finnigan (2006; 2011). Les trois suivants ont été traduits en anglais. Les histoires mettent en scène le commissaire Ewert Grens, usé par plus de 25 ans au service de la police suédoise et par ses problèmes personnels, autoritaire, aigri, solitaire, et quelques-uns de ses collègues, souvent Sven Sundkvist plus calme et raisonnable et, dans ce roman-ci, la nouvelle commissaire, Mariana Hermansson, plus jeune et très débrouillarde.
Irrité par le comportement harceleur d’un buveur à la main baladeuse sous les jupes d’une jeune femme, un chanteur de charme, John Schwarz, interrompt son récital pour allonger un coup de pied dissuasif en pleine face du gêneur. Quand le ferry rentre au port, Schwarz fausse compagnie au comité de réception de la police de Stockholm, qui le retrouvera bientôt chez lui, avec sa femme et son enfant. Ewert Grens se charge de l’enquête. Des comportements paniqués de Schwarz l’amènent à penser que cet individu doit avoir un passé pas très net, même s’il ne semble pas avoir de casier en Suède. Ayant envoyé photo, empreintes digitales et ADN pour analyses au niveau international, Grens apprend avec surprise et très mauvaise humeur qu’il a arrêté un mort. Et même un mort décédé il y a 8 ans en Ohio, d’une crise cardiaque, alors qu’il attendait dans le couloir de la mort d’être exécuté pour meurtre.
La seule personne vraiment heureuse de cette nouvelle est Edward Finnigan, le père de la jeune fille de 16 ans qui avait été tuée, selon toute apparence, par celui qu’on appelait alors John Meyer. Finnigan avait été frustré de ne pas pouvoir assister au châtiment de Meyer. Alors que, maintenant, l’État de l’Ohio mettra le paquet pour récupérer le mystérieux évadé et tenter d’expliquer cette évasion spectaculaire : on ne revient pas tous les jours du royaume des morts, et les condamnés ne doivent pas entretenir une telle espérance.
Problème : la Suède a signé des ententes lui interdisant de livrer à un pays un prisonnier qui y subirait la peine de mort. Mais les États-Unis sont gros et riches, et les diplomates et politiciens suédois ont beaucoup d’imagination. Par contre, Ewert Grens est tenace.
Si Grens finissait par l’emporter, ça serait un peu trop rose. Si Schwarz/Meyer était banalement exécuté, ça serait une histoire bien plate. On peut donc penser que certains rebondissements parviendront à nous déséquilibrer et que, en fin de compte, notre tristesse certaine sera accompagnée d’un certain sourire.
Les cent premières pages ne sont pas faciles : on nous bardasse dans l’espace et dans le temps et faut s’armer d’un crayon et de patience. On passe d’il y a 20 ans à 8 ans, à aujourd’hui; et inversement. On fréquente un village de l’Amérique profonde, une prison d’État d’Ohio, un poste de police de Stockholm. On rencontre tous les personnages importants. Et quelques autres. Puis, enfin, tout est en place et se calme : le reste de l’histoire se déroulera de façon assez linéaire : comment les pressions politiques américaines agiront pour tenter de récupérer leur citoyen ressuscité.
Il y a du suspense dans l’air, parce qu’on se préoccupe du sort de John, mais ce n’est pas un roman d’action. On s’attache un peu au commissaire Grens, un pitbull au cœur tendre, mais on ne chercherait pas à le fréquenter. Le déroulement de l’histoire est, hélas?!,cohérent, d’où un réalisme assez noir, sérieux, si on excepte l’ultime rebondissement, fantaisiste par son improbabilité, et qui a dû servir d’intuition originelle au récit. On a parlé d’un plaidoyer contre la peine de mort, sans doute parce qu’on associe le point de vue des policiers de Stockholm au point de vue des auteurs; mais c’est quand même plus qu’un roman à thèse, même si on est loin de l’habileté d’un Larsson, de l’envergure d’un Mankell ou de l’originalité du Danois Adler-Olsen. Ça n’en reste pas moins un roman solide. Comme Roslund et Hellström écrivent beaucoup et que la rumeur publique les a sacrés écrivains engagés, espérons qu’ils sauront pratiquer l’art de se renouveler.
Extrait :
L’air frais du matin mordait les joues d’Ewert Grens. Il n’aimait pas l’hiver, il détestait tout ce qui s’y rapportait, il maudissait ce froid. Il avait du mal à tourner la tête et sa jambe gauche refusait de lui obéir : quand la température baissait, ses infirmités s’aggravaient. Il se sentait vieux, plus vieux que ses bientôt cinquante-sept ans; chacune de ses articulations, chacun de ses muscles réclamait le printemps, la chaleur. Il était debout devant l’entrée de son immeuble, à Sveavägen. Devant la cage d’escalier conduisant à l’appartement du troisième étage où il vivait depuis bientôt trente ans. Trois décennies dans le même lieu, sans connaître un seul voisin.
Ewert Grens se rassure en écoutant les vieux hits de Siw Malmkvist, la Connie Stevens suédoise, qui lui rappelle le bon vieux temps où il vivait pour vrai.
Siw Malmkvist – Tunna Skivor
Sorry Michel de t’avoir rebaptisé Paul !!
J’étais dans l’émotion musicale 😉
Je suis bien content d’avoir trouvé cette interprétation de Siw Malmkvist, la préférée d’Ewert Grens. Tunna skivor est devenue en anglais Everybody’s somebody’s fool et, en français, En tout petits morceaux. Youtube présente la version américaine et d’autres tubes de Malmkvist.
Si l’émotion est venue, c’est le principal.
Excellente chronique Paul.
Bonne idée la musique suédoise qui met dans l’ambiance 🙂
J’apprécie énormément ce duo d’auteurs. Tous leurs romans sont de véritables coups de poing sur des sujets de société particulièrement brûlants.
Celui-ci est sans doute mon préféré, je trouve la façon d’amener les choses vraiment intelligente.
Merci pour ta longue et précise chronique et merci de parler de ces deux mecs 😉
Je m’en ennuie déjà un peu: on aura sûrement l’occasion de s’en reparler.