Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2012
(Titre original : Back to Blood)
Date de publication française : 2013 (Robert Laffont)
Genres : Roman sociétal, ethnologique
Personnage principal : Nestor Camacho, policier cubain
Miami, ville cubaine des États Unis. Là, Nestor Camacho est un agent de la police maritime. Il est cubain. Lors d’une patrouille en bateau dans la baie de Biscayne, lui et ses deux supérieurs hiérarchiques sont appelés pour intervenir : il y a un type juché en haut du mât d’un grand voilier, il menace de se jeter d’en haut si on ne le conduit pas à terre. Nestor est désigné pour tenter de sauver le gars d’une chute mortelle. Malgré sa trouille, il réussit à ramener le réfugié sur le pont, de façon spectaculaire, filmé par les caméras de télévision. Il devient un héros pour les Américanos et un traitre pour sa propre communauté, les Cubains. Pour les uns il a sauvé de la mort un pauvre bougre et pour les autres il a empêché un compatriote d’obtenir l’asile américain. En effet poser le pied sur le sol américain revient à obtenir systématiquement l’asile pour un Cubain. Mais là sur le voilier, le gars n’a pas réussi à poser le pied sur le sol américain, il lui manquait les 18 mètres qu’il n’a pu franchir à cause de Nestor Camacho. Celui-ci est démoralisé : il est rejeté par tous ses proches et même dans sa propre famille. Sa petite amie, la belle Magdalena, le plaque pour s’installer chez son employeur, un psy médiatique qui soigne les addictions à la pornographie. Tout ce que fait Nestor, dans son boulot de flic, déclenche des polémiques. Après son exploit maritime, Nestor réalise une autre prouesse : il neutralise grâce à une prise de catch un énorme dealer noir qui pèse le double de son poids. Quelqu’un a filmé la bagarre et enregistré les insultes prononcées par les flics. Les policiers sont accusés de racisme et Nestor Camacho commence vraiment à énerver le maire de Miami qui lui reproche de foutre le bordel parmi les différentes communautés. Il deviendra l’enjeu d’une lutte de pouvoir entre le maire et le chef de la police. Mais Nestor a le don de se mettre dans des situations compliquées, il va se retrouver impliqué dans d’autres histoires.
L’intrigue n’est qu’un support pour Tom Wolfe. Elle lui permet de développer ses idées sur l’évolution de la société américaine. Pour lui Miami est caractéristique de cette évolution. Cette ville est la seule d’Amérique et même du monde où des immigrés, les Cubains, ont établi une domination en à peine une génération. Dans cette ville le maire est un Cubain. Les noirs américains, minoritaires, s’y sentent maltraités. C’est pour les rassurer que le maire nomme à la tête de la police de la ville un noir. D’autres communautés, moins nombreuses, les Haïtiens et Nicaraguayens, sont aussi présentes. Le dessus du panier est représenté par les WASP (White Anglo-Saxon Protestant), les blancs, les plus aisés socialement. Toutes ces communautés vivent côte à côte sans se mélanger. Les différents groupes sociaux se livrent à la compétition pour accéder au pouvoir.
Les personnages sont nombreux : – Nestor Camacho, le seul flic capable d’actions spectaculaires qui sont à la fois des réussites policières et des fiascos pour la gestion municipale – son ex petite amie, Magdalena, une cubana canon qui rêve de se sortir de sa condition sociale modeste – un psy, vedette des médias, spécialiste de la dépendance pornographique – un jeune journaliste WASP aux dents longues – un maire, cubain, partisan du pas de vague et des arrangements politiques – un chef de police, noir, orgueilleux qui supporte de moins en moins d’être manipulé et de servir de caution à la politique du maire – un professeur de français et de créole, haïtien, imbu de culture française et sa fille, une beauté troublante (pour Camacho) … Tous ces personnages sont utilisés pour développer tel ou tel aspect de la ville de Miami. Ils n’ont apparemment aucun rapport les uns avec les autres et on a parfois du mal à discerner la place de certains dans cette histoire.
Tom Wolfe observe les individus à la façon d’un ethnologue goguenard et sarcastique. Il montre leurs manies, leurs ambitions, en se payant leur tête en permanence. Personne n’est épargné, tous les personnages sans exception sont un peu vaniteux et beaucoup ridicules.
L’écriture est échevelée, dynamique et survoltée. On sent que l’auteur s’est éclaté en écrivant ce livre. Il y a beaucoup d’onomatopées, de répétitions de mots pour créer un effet comique. L’auteur recherche davantage les effets amusants que les belles formules littéraires. La répétition de ce procédé, au bout de 600 pages, finit par lasser un peu.
On a l’impression qu’à 82 ans Tom Wolfe n’a plus envie de prouver quoi que ce soit mais qu’il préfère se faire plaisir que ça plaise ou non. Ce grand auteur américain se conduit en écrivain facétieux qui n’en a cure des conventions.
Pour terminer je précise que, puisque nous sommes sur un blog dédié aux polars, ce livre n’est pas vraiment un polar. Il y a bien des policiers, des truands et même un cadavre mais ce n’est pas ce qui représente l’essentiel de l’histoire. Seules les 50 dernières pages pourraient être classées dans le rayon polar si l’on tient absolument à faire des classifications. Nous nous autorisons exceptionnellement à sortir de notre domaine de prédilection.
Boody Miami est un roman trépidant, acide et ironique, que vous lirez avec plaisir même si, comme moi, vous en retirez l’impression que l’auteur en a fait un peu trop.
Extrait :
Il n’avait rien contre les minorités… les Americanos… les Blacks… les Haïtiens… les Nicas, comme tout le monde appelait les Nicaraguayens. Il se sentait très large d’esprit, un jeune homme de son temps, noble et tolérant. Americano était le mot qu’on utilisait en présence d’autres Cubains. Autrement, on disait Anglo. Quel drôle de nom, Anglo. Il avait quelque chose de… pas très sympa. Il désignait les Blancs d’origine européenne. N’avait-il pas une connotation légèrement défensive? Il n’y avait pas si longtemps que les… Anglos… divisaient la population mondiale en quatre couleurs, les Blancs, les Noirs, les Jaunes – et tous les autres étaient marron. Les Latinos se retrouvaient dans le même sac marron ! – alors qu’ici à Miami, en tout cas, la plupart des Latinos, un très gros pourcentage, enfin, beaucoup, étaient aussi blancs que n’importe quel Anglo, sauf qu’ils n’avaient pas les cheveux blonds… C’était ce que voulaient dire les Mexicains en utilisant le mot gringo : ceux qui ont les cheveux blonds.
Tom Wolfe est l’auteur du Buché des vanités qui est certainement son ouvrage le plus connu. Un film en a été tiré avec Tom Hanks, film pas très rèussi à mon humble avis.
J’ai Bloody Miami dans ma bibliothèque mais je ne l’ai pas encore lu. Mais votre critique, comme d’habitude, va me pousser à le prendre bientôt en mains.
Merci de votre commentaire. Ce dernier livre de Tom Wolfe est un peu spécial par rapport aux précédents : l’auteur est toujours aussi sarcastique mais son style est assez surprenant : usage fréquent de répétitions et d’onomatopées. Vous verrez puisque vous l’avez dans votre bibliothèque.
Superbe chronique Ray.
Voilà un auteur que je découvre, tout comme le genre du livre… Roman sociétal, ethnologique !
Je vais le noter pour une de mes prochaines lectures. Toujours pour étoffer ma culture littéraire 🙂
Merci Marc. Eh oui ! Roman sociétal et ethnologique, ce n’est pas courant surtout chez moi qui parle surtout polars. Dans ce livre Wolfe (très connu aux US) prend exemple sur la ville de Miami, pour décrire une possible évolution de la société américaine, dans son style particulier. On pourrait croire en lisant ça que c’est ardu et difficile à lire. Pas du tout, c’est plaisant et même souvent marrant.
Merci beaucoup pour ta chronique, cela me conforte dans l’idée qu’il faut que je l’ouvre enfin (le livre).
Ce n’est peut-être pas un polar mais je n’ai encore jamais lu Tom Wolfe et comme on me l’a offert ….
Tom Wolfe est un grand auteur américain qui mérite d’être lu, d’autant plus si tu as déjà le livre. Si tu ne connais pas Wolfe, tu vas être étonnée par son ironie et son ton sarcastique.